vendredi 30 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 53e partie

À l'intérieur de nous peuvent habiter plusieurs personnes qu'il n'est pas
toujours facile de reconnaître mais qu'il nous appartient de rencontrer.

- J. Salomé

Des exercices pour appuyer l’intervention

Voici quelques exercices auxquels vous pouvez avoir recours pour que la cliente réapprenne à se faire confiance. Ce sont des techniques de base en intervention sociale, utilisées ici dans le contexte particulier d’une relation se fondant sur des principes issus d’une analyse féministe de la société et de la violence conjugale.

L’utilisation d’un tableau est un moyen concret qui permet à la cliente d’évaluer sa propre image. La femme violentée essaie de brosser le tableau de ses forces et faiblesses et de les analyser. Ensemble, vous observez chacune des faiblesses identifiées. La cliente tente alors de discerner si celles-ci correspondent à sa propre perception ou à celle de l’agresseur. Cette étape amène la cliente à réaliser combien elle se dévalorise et donne du pouvoir à l’agresseur.

Ce premier déblayage fait, elle doit regarder si les faiblesses identifiées sont réelles et si elle peut les illustrer par des exemples concrets. En effet, un certain nombre des faiblesses qu’elle s’accorde sont sans fondement. Par exemple, elle note qu’elle ne sait pas administrer le budget familial. Puis elle réalise qu’elle n’a jamais eu accès à l’argent et que c’est son conjoint qui administre les revenus de la famille. Son incapacité, dans ce cas, n’est absolument pas évidente, elle l’anticipe. Progressivement, ses limites personnelles se dessinent concrètement. Bien des faits perdent leur ampleur et d’autres disparaissent.

La même démarche est reprise avec les forces qu’elle a identifiées chez elle. Le nombre initial des qualités est généralement inférieur à celui des faiblesses. Il est important de désigner ses forces en fonction d’une qualité et non d’un rôle, ce qui dépersonnaliserait la force identifiée et confirmerait la femme dans des rôles stéréotypés. Par exemple, dans l’affirmation : « Je suis une bonne mère. », on n’évaluera que les capacités personnelles que cela implique : capacités de négociation, de compréhension, de constance dans les structures, etc. Ces qualités se réfèrent donc à des aptitudes personnelles et non à une fonction sociale, élaborée à partir du concept de la mère idéale. Il nous apparaît alors important de favoriser la découverte d’aptitudes personnelles qui se distinguent des stéréotypes féminins.


Le tableau qu’elle fait de ses forces et de ses faiblesses permet à la femme violente de constater qu’elle a de la difficulté à reconnaître ses capacités personnelles.

La cliente tiendra à jour son tableau cumulatif. Chaque fois qu’une action sera entreprise, une solution trouvée, une nouvelle décision prise, ou qu’un nouveau risque sera établi, elle notera dans la colonne des forces, l’aptitude dont il lui sera établi, elle notera dans la colonne des forces, l’aptitude dont il lui aura fallu faire preuve et qu’elle se sera découverte. Vous lui rappellerez également les capacités que vous lui trouvez et, en entrevue, vous l’aiderez à identifier la capacité qui lui a permis de réussir ce qu’elle a entrepris.

Ce tableau devient un point de repère. Il sert en plus à consolider les acquisitions faites. La femme battue peut garder ce tableau et le cacher dans un endroit sûr pour éviter que son conjoint ne le trouve. Si cela comporte trop de risques, vous pouvez le garder pour elle et l’apporter lors des entrevues. Si elle a quitté son partenaire, vous lui suggérez de garder ce miroir d’elle-même.

Jeu d’association
Ce jeu est une autre technique susceptible d’aider la femme battue à reconnaître ses capacités.

La femme violentée nomme un animal qu’elle aime et qui la représente. Elle établit la liste des qualités de cet animal. Par exemple, l’écureuil est prévoyant et partage vite ses peines, il fait preuve d’agilité, etc. Par la suite, la cliente essaie de voir en quoi ces qualités ressemblent aux siennes ou en quoi l’animal la représente. Se reconnaît-elle de telles qualités? De quelle façon peut-elle les cultiver et les maintenir?

Y-a-t-il des capacités dont cet animal fait preuve et qu’elle-même a déjà démontrées mais n’ose plus utiliser maintenant? Elle tentera de reconnaître les événements de sa vie qui ont contribué à réduire sa confiance en elle. La violence conjugale devient un des premiers facteurs reconnus. Elle peut être « réassurée » sur le fait qu’une capacité ne se perd pas.

En faisant ces différents exercices pour redécouvrir ses compétences, la femme battue modifie progressivement son estime de soi. Elle peut également poursuivre cet effort pour modifier le regard qu’elle pose sur elle-même.

Identifier la beauté d’une partie de son corps
Il est difficile pour les femmes, en général, de se trouver belles. Les critères de la beauté féminine sont inaccessibles et déterminés par des valeurs et des jugements masculins. Comme victime, la femme battue éprouve encore plus de problèmes à avoir une image positive de son corps. Pour contrecarrer la dévalorisation dont elle fait l’objet, elle essaiera d’identifier de l’humilité et de la règle d’usage prétendant que seul le regard d’autrui détermine la beauté d’une femme.

La femme violentée, comme nous l’avons déjà dit, doit être informée de la stratégie de dénigrement de l’agresseur. Cette connaissance est importante pour la cliente. Comment peut-elle lutter contre l’effet des agressions psychologiques, si elle n’identifie pas l’ampleur des blessures qui lui sont faites? Une action de défense contre la violence nécessite cette prise de conscience.

Cet exercice fait appel aux symboles et constitue une action concrète contre la victimisation. Vous soutenez la cliente pour qu’elle parvienne à donner une valeur positive à une partie de son corps. Vous renforcez également l’évaluation positive qu’elle vient de faire. Reprendre du pouvoir sur son corps fait partie de la démarche de restauration de l’estime de soi.

Faire une sculpture
Vous pouvez utiliser cet exercice lors de l’entrevue de l’établissement du bilan. Il permet de consolider les acquisitions faites au cours du contrat de travail établi entre la cliente et vous.

La femme battue fait prendre à corps une position correspondant à une perception précise qu’elle a d’elle-même et donne à son visage l’expression qui lui semble la plus significative. Lorsque la sculpture illustre bien ce qu’elle imagine d’elle-même, elle demeure dans cette posture, sans bouger. Si possible, l’image filmée sur vidéo. En respectant ces consignes, la cliente fera deux sculptures.

La première représente l’image qu’elle avait d’elle au début des rencontres, lorsque le contrat de travail a été négocié entre elle et vous. La deuxième reflète la perception qu’elle a d’elle maintenant. Chacune des sculptures est analysée par la cliente. Que voit-elle dans cette image? Que se dégage-t-il de cette sculpture? Que veut dire l’expression du visage? Que lit-elle sur ce visage? Que semble vivre cette femme? Qu’est-ce que le corps exprime? Quelles différences observe-t-elle entre ces deux portraits d’elle-même? Qu’est-ce qui est le plus évident : l’expression, la posture, l’allure? Qu’est-ce qu’elle aime dans ces sculptures? Finalement, peut-elle nommer la différence qui existe entre ces deux sculptures?

Cette différence est généralement évidente et significative et est, en soi, un constat de peur, où l’on perçoit une fermeture, un repli sur soi. La deuxième révèle une évolution de l’assurance personnelle, une confiance accrue et représente souvent un geste. Cet exercice est valorisant et permet de visualiser des changements. La conscience du chemin parcouru renforce l’estime de soi. Même s’ils ne sont complètement terminés, on observe des changements et cela rassure la cliente sur ses capacités personnelles.

mercredi 28 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 52e partie

La vie n'est supportable que lorsque le corps et l'âme vivent en parfaite harmonie qu'il existe un équilibre naturel entre eux et qu'ils ont l'un pour l'autre un respect réciproque.

Résumons-nous sur la psychologie de la femme battue
La psychologie de la femme battue
Au seuil du nouveau millénaire, un des plus gros défis de société auquel nous sommes confrontés est bien celui de la violence familiale, et plus particulièrement, la violence contre les femmes et les enfants. Selon statistique Canada, en 1996, dans 89% des agressions conjugales signalées à la police, les victimes étaient des femmes. Certains spécialistes prétendent qu’aux Etats-Unis, il y a une femme victime de violence conjugale à toutes les sept secondes.

Au Canada, entre 1977 et 1996, 12,666 personnes ont été victimes d’un homicide. Un tiers des homicides mettait en cause des membres de la famille. Parmi ceux-ci, dans près de 50% des cas, il s’agissait de violence entre conjoints. Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit d’un fléau social d’importance.

Le syndrome
Le Dr Lenore Walker, psychologue, et d’autres spécialistes en matière de violence conjugale, ont observé chez plusieurs femmes battues des réactions typiques. Ainsi, ces réactions sont caractérisées par quatre phases soit : le déni, la culpabilité, la prise de conscience et la responsabilité. Évidemment, chaque femme réagit selon ses traits de personnalité, mais les réactions sont assez typiques pour que l’on puisse parler de syndrome.

Le déni
D’abord, un bon nombre de femmes ont tendance à refuser de reconnaître qu’elles sont réellement victimes de violence conjugale. « C’est un accident, il ne voulait pas me frapper. ». « Je suis convaincue qu’il ne recommencera plus. », sont des propos fréquemment entendus par ceux qui sont proches des victimes. La plupart des femmes que j’ai rencontrées avaient honte de dire qu’elles avaient été battues par leur conjoint.

Le déni, à mon avis, est un mécanisme de défense qui permet à la personne d’éviter de tout foutre en l’air, soit la famille, la vie de couple et le patrimoine. L’éclatement de la famille correspond, pour la plupart des femmes, à une tragédie, car il fait appel à l’insécurité tant affective que financière. De plus, les mères veulent éviter la séparation de corps par peur d’affecter ou de faire du tort aux enfants, comme si elles se sacrifiaient. Bref, vaut mieux croire que tout s’arrangera pour éviter le pire.

La culpabilité
Durant cette phase, la femme reconnaît qu’il y a un problème, mais elle se tient responsable pour la violence de l’homme. « Il ne faudrait pas que je lui fasse des reproches. » « C’est probablement parce que j’ai un mauvais caractère. » « J’aurais dû l’écouter et faire ce qu’il me demandait. » Les femmes en viennent à croire qu’elles méritent d’être battues ou punies, comme si elles étaient responsables de la colère du conjoint.

La prise de conscience
Tôt ou tard, les femmes battues réalisent que le problème est récurrent et que le conjoint se permet des colères pour des banalités. Il faut dire que plus les hommes violents réaliseront que la violence leur donne du contrôle et du pouvoir sur la conjointe, plus ils auront tendance à y recourir pour résoudre leurs problèmes ou pour qu’elles répondent à leurs caprices. Les femmes prennent donc conscience que le conjoint a un problème sérieux et qu’elles n’en sont pas responsables.

La responsabilisation de soi
C’est en réalisant que le conjoint n’a pas respecté ses promesses de cesser les abus physiques et psychologiques, que les femmes décident de se prendre en charge. Le support des intervenantes dans les maisons d’hébergement et les témoignages d’autres victimes leur permettent de prendre des mesures efficaces pour mettre un terme à la violence conjugale. Durant cette phase, la femme devient pro-active face au problème de violence.

Quelques conseils pratiques
Si vous êtes victimes de violence conjugale, vous pouvez communiquer en tout temps avec SOS Violence conjugale au 1-800-363-9010. Quant aux hommes violents, vous pouvez communiquer avec le Groupe de Partage pour Homme de la Montérégie au numéro 514-299-3210, et cela, 24 heures sur 24. À ces endroits, les intervenants essaieront de répondre à vos questions. Aussi, vous aideront-ils à évaluer vos besoins en plus de vous transmettre les renseignements nécessaires pour obtenir de l’aide. En matière de violence conjugale, il n’y a pas de raison pour refuser de l’aide!

lundi 26 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 51e partie

Ce que cache mon langage mon corps le dit

- R. Barthes

Laisser surgir une émotion
À ce stade, la cliente commence à expérimenter elle-même de nouvelles émotions. Pour la préparer à franchir une nouvelle étape, vous reprenez avec elle, au cours des dernières rencontres, les étapes précédentes. Il est important de consolider les acquisitions que vous et elle avez observées. En se remémorant ce qu’elle a pu faire, la cliente nourrit sa confiance en elle et prend conscience des nouvelles aptitudes qu’elle a développées. Ensemble, vous récapitulez les moyens dont elle dispose pour vivre des émotions difficiles – respiration abdominale, images mentales, laisser parler son cœur, écrire ce qu’elle ressent, crier.

Au cours de la semaine, sa tâche consistera à s’isoler pour vivre un sentiment important qu’elle ne pouvait exprimer devant l’agresseur. Elle reprendra, seule, les divers moyens et techniques qu’elle a expérimentés en entrevue pour laisser surgir cette émotion. Elle commencera par l’exercice de la respiration abdominale et laisser surgir progressivement des images de l’événement auquel est reliée l’émotion retenue. Elle restera à l’écoute d’elle-même pour accepter ces images et vivre les émotions qui s’y rattachent. Elle sait qu’elle peut les ressentir sans danger. Elle a déjà expérimenté ce processus en entrevue. Elle devra se rappeler qu’elle a la capacité d’affronter ses sentiments.

Par la suite, après avoir laissé surgir son émotion, elle pourra la transcrire. Cette étape consolide et termine la libération du sentiment. Les observations qu’elle aura notées, à la suite de sa tâche, lui permettront de commenter les résultats de cet exercice lors de l’entrevue. Vous soulignerez les résultats de cet exercice lors de l’entrevue. Vous soulignerez le chemin accompli et la reprise de pouvoir sur elle-même qu’elle vient de réaliser.

Les tâches varient selon le rythme de l’évolution de la cliente. Le choix se fait en accord avec elle. La femme battue détermine bien souvent la tâche qu’elle devra faire. Toutefois, pour éviter que la tâche soit une source d’échec, le défi qu’elle représente doit être progressif.

Les différentes techniques, exercices et tâches que nous venons de voir servent donc de moyens pour aider la femme battue à récupérer le droit à ses émotions. Cette étape est importante pour qu’elle puisse développer une estime d’elle-même. L’estime de soi implique nécessairement qu’une personne s’accorde de la valeur.

Reconnaître ses capacités
Pour retrouver l’estime de soi, la femme violentée doit redécouvrir ses capacités personnelles et croire en ses compétences. Elle doit briser l’image négative qu’elle a d’elle-même. L’intervention tiendra compte de cette nécessité.

En plus de refuser les discours de dénigrement qu’elle tient sur elle-même, il est parfois pertinent d’analyser, avec la cliente, un de ses modes de fonctionnement qui contribue à maintenir cette perception négative d’elle-même. Par exemple, une femme battue disait, parlant d’elle : « Il est normal que je gère bien le budget familial. C’est normal pour une femme d’avoir des talents culinaires. C’est normal de comprendre les règles fiscales pour mon travail. » Elle considérait ses limites personnelles comme des défauts et toutes ses aptitudes, comme des qualités qu’il est normal d’avoir. Lorsqu’on lui demandait si toutes les femmes avaient ces compétences-là, la cliente répondait négativement. Toutefois, elle ne percevait pas ces compétences, qu’elle possédait, comme étant chez elle, des qualités personnelles. Par contre, elle considérait ses limites comme des défauts. « Je ne suis pas une bonne mère car je ne peux offrir un camp de vacances à mes enfants. Je ne suis pas efficace à mon travail, je ne parviens pas à faire toutes les analyses qui me sont demandées. » En prenant conscience de sa façon de fonctionner, la cliente a reconnu l’impasse dans laquelle elle se trouvait : peu importe ce qu’elle faisait, elle était nécessairement une incapable.

Pour cette cliente, cette prise de conscience fut à l’origine d’un changement important. Elle cessa de minimiser la valeur de ses réussites et comprit qu’elles étaient les limites réelles de ses actions (conditions objectives : financières, temporelles, sociales).

La fin du comportement de victimisation s’avère donc essentielle pour que la cliente parvienne à reconnaître ses capacités. Voyons quelques moyens susceptibles de l’aider à redécouvrir ses compétences.


Des techniques d’intervention
Utiliser un photo-langage
La technique du photo-langage, comme nous l’avons déjà dit, permet de travailler l’estime de soi et peut également être utilisée pour aider la cliente à identifier ses capacités. Ici, les photos doivent représenter uniquement des femmes, dans différents rôles et situations. La cliente peut ainsi facilement s’identifier aux personnages et à leurs réactions.

Vous demandez à la femme battue de choisir et de rassembler, dans un premier temps, des photos qui la personnifient avant son union conjugale. Puis, dans un deuxième temps, de sélectionner des images la représentant actuellement. La première série de photos sert de point de départ à une réflexion que vous guiderez avec quelques questions. Chaque image fait l’objet d’une attention particulière. Que représente pour elle cette photo? Que lui inspire-t-elle? De quelle capacité cette femme de la photo fait-elle preuve? Que semble-t-elle approuver? Que fait-elle? Que veut-elle pour son avenir? Etc. Par ses réponses et ses commentaires, la femme battue dégage l’image qu’elle avait d’elle-même avant l’expérience de la violence conjugale.

Dans la deuxième série de photos sur la femme qu’elle est présentement, celle de la photo de la statue cassée revient souvent. Pour un grand nombre de clientes, cette photo illustre la position de victime et le peu d’estime qu’on lui accorde et qu’elle se donne. La perte de l’estime de soi est évidente dans plusieurs choix de photos. Quand on aide la cliente à demeurer centrée sur ses réflexions et ses découvertes, elle fait un portrait assez juste de sa situation personnelle.

Par la suite, elle essaie de voir comment la femme qu’elle est maintenant peut tirer profit des compétences qu’elle avait avant l’union conjugale. L’échange, au cours de la discussion, porte également sur ses aptitudes qui existent toujours, qui ne peuvent se perdre, qui ne sont plus exploitées et dont elle pourrait profiter de nouveau. Elle peut identifier les capacités qui lui ont permis de survivre aux deux femmes : celle d’hier et celle d’aujourd’hui. Que peut-elle faire pour se rapprocher davantage de la femme libre et confiante, révélée par la première série de photos? Comment peut-elle développer sa confiance en elle? De quelle façon peut-elle commencer à s’aimer? Quelles sont les forces personnelles qu’elle peut actuellement exploiter et raviver?

À partir de là, il faut identifier les séquelles de la violence qui altèrent l’estime de soi. Vous universalisez la perte de l’estime de soi en montrant qu’il s’agit d’une des conséquences du vécu de violence conjugale, non pas d’un manque d’habileté. Vous rappellerez l’isolement dans lequel se trouve la victime et le pouvoir destructeur du contexte affectif résultant d’une relation avec un partenaire violent. Un tel climat mine la confiance en soi. Les compétences individuelles demeurent cependant et peuvent de nouveau être mises à profit.

Apprendre à se donner des permissions
La victime vit dans la contrainte. Cela affecte le moindre de ses gestes. Elle évolue donc dans un périmètre restreint et est souvent assiégée par l’agresseur. Son entourage immédiat ne l’autorise pas à penser à elle-même. Pour développer un sentiment de confiance en ses compétences, elle doit réapprendre à réduire ses propres interdits.

L’une des permissions les plus difficiles à s’accorder est le droit à l’erreur. De façon générale, dans la société, les femmes éprouvent un fort sentiment d’échec. Comme il leur est impossible de remplir toutes les fonctions qu’on exige d’elles – mère, amante, épouse, travailleuse, etc - , elles vivent un sentiment d’échec permanent. Cette dimension sociale de la condition des femmes est abordée et discutée avec la cliente, afin qu’elle se départisse des responsabilités qui ne lui reviennent pas. Cette alliance avec elle l’aide à modifier sa notion d’échec.

La peur de commettre une erreur maintient la cliente dans sa passivité et contribue à nourrir son sentiment d’incompétence. L’agresseur contrôle ainsi totalement sa victime. Cette analyse fait partie des informations qu’il faut partager avec la cliente pour qu’elle accepte de prendre des risques.

Lors des rencontres, vous proposez à la cliente d’expérimenter, par des jeux de rôles, diverses situations où elle redécouvrira les capacités qu’elle possède. Vous la renforcerez dans ses jugements et relèverez les habiletés dont elle fait preuve dans les exercices. Le contexte des entrevues peut être pour elle, un cadre sécurisant pour expérimenter ses capacités. Les tâches généraliseront, dans son milieu de vie, ses nouvelles perceptions et les comportements qui en découlent.

samedi 24 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 50e partie

"Il suffit de prêter attention, les leçons viennent toujours quand vous êtes prêts
et si vous êtes attentifs aux signes vous apprendrez toujours tout ce qui est
nécessaire pour l'étape suivante.
"
Paulo Coelho

Des tâches

À cette étape, les tâches employées ont pour objectif de maintenir le rythme de la démarche évolutive de la cliente. Elles viennent appuyer et compléter un processus de cheminement amorcé en entrevue.

Comme les tâches servent également de matériel de renforcement, la discussion sur leur réalisation doit être constamment intégrée à l’entrevue. Les efforts et les initiatives de la femme battue représentent des pas importants vers l’acquisition d’une plus grande autonomie. Ces moyens, si petits soient-ils, augmentent progressivement ses zones d’indépendance. Ils deviennent aussi des réalisations observables qui sont très utiles pour développer une meilleure estime de soi. Ainsi, les tâches complètent les changements qu’initie la femme battue lors des entrevues. Ces changements n’ont une valeur que s’ils deviennent, pour elle, de nouveaux points de référence dans sa vie quotidienne.

Regardons maintenant quelques tâches qui renforcent le processus amorcé en entrevue.

Crier
Il peut être intéressant que la femme violentée commence à se libérer de ses tensions émotives autrement que par les larmes. Le cri est un geste qui va à l’encontre de la passivité. Crier peut l’aider à abandonner son attitude de repli sur soi et à briser, par le fait même son silence. Cette tâche permet à la cliente d’occuper, pendant quelques secondes, une place, ne serait-ce que sonore. De plus, par le cri, elle peut libérer une émotion qu’elle n’a pas encore analysée, qu’elle censure et juge. Une femme battue expliquait ainsi cette réalité : « Au début, je ne savais pas pourquoi je criais, je le faisais pour le bien-être que cela me procurait, maintenant je sais pourquoi et c’est le seul moyen que j’ai pour exprimer ma douleur. »

Des moyens peuvent donc être pris pour expérimenter le cri : la cliente peut crier lorsqu’elle est seule dans sa voiture ou dans la maison. Elle peut également crier dans le bois.

Le cri prépare le travail sur la colère. Il peut aussi compléter une entrevue au cours de laquelle la cliente s’est exprimée en pleurant.

Pratiquer la respiration abdominale
Afin de maintenir les efforts qu’elle fait pour se mettre à l’écoute d’elle-même, la femme violentée peut reprendre, quand elle est seule, l’exercice de la respiratoire abdominale. En pratiquant ce type de respiration, elle se donne du temps et demeure en contact avec ce qu’elle ressent. Souvent la femme battue coupe ses émotions et vit en état d’alerte, elle respire donc mal et peu. La respiration abdominale modifie son fonctionnement et peut transformer son mode de défense habituel consistant à se retenir, à prendre le moins de place possible, à contrôler ses émotions et demeurer peu « en contact avec soi ».

Par cet exercice, la femme intègre consciemment qu’il est important de ressentir ce qu’elle vit et d’écouter ce qui lui arrive. Peu à peu, elle utilisera la respiration abdominale pour accepter de vivre une émotion difficile.

Bibliothérapie
Des lectures peuvent aussi stimuler l’évolution de la cliente, en renforçant la valeur de ce qu’elle découvre et apprend. Dans le cas de l’apprivoisement des émotions, l’article de F. Magazine, « La colère n’est pas toujours mauvaise conseillère », représente un choix judicieux. Cet écrit réitère le droit des femmes à la colère en décrivant ce sentiment comme positif et sain.

Certains écrits humoristiques peuvent aussi démystifier des émotions. La bande dessinée de Reiser sur les femmes contient quelques dessins qui prêtent aux femmes des sentiments socialement réprouvés. Les réactions de la cliente à ces lectures servent de base aux échanges sur les sentiments dits positifs et négatifs, lors des rencontres. La vision que la cliente a des émotions féminines et des émotions masculines fait l’objet de discussions. La conscientisation se fait donc par l’humour.

Écrire un sentiment
Une tâche permettant à la cliente de rester sensible à ce qui lui arrive sur le plan émotif peut également être choisie. Jusqu’à la prochaine rencontre, elle notera le sentiment le plus lourd qu’elle aura porté. Par cette tâche, elle demeurera à l’écoute d’elle-même, acceptera de vivre ses émotions pour pouvoir parvenir à identifier celle qui est la plus difficile à porter.

Lors de la prochaine rencontre, par l’intermédiaire de son message écrit, elle ouvrira la discussion directement sur elle.

L’écriture peut également être employée pour décrire une émotion ressentie. La tâche s’inscrit alors dans la perspective de faciliter un premier niveau de libération émotive. En décrivant son sentiment, la cliente le vit et l’affronte. Cet exercice aide souvent à diminuer la tension reliée aux émotions. Il procure également à la femme un moyen concret d’assumer ce qui lui arrive. Elle développe de nouvelles capacités pour ressentir les émotions qui l’habitent.

Photo-langage-
La cliente aura comme tâche de découper, dans les journaux ou les revues, des images ou des mots qui évoquent chez elle une émotion qu’elle a vécue au cours de la semaine. Là encore, en acceptant d’identifier une émotion, de la reconnaître et de l’exprimer par une image ou des mots clés, elle devra demeurer à l’écoute de ses sentiments.

Ce matériel est alors utilisé comme un photo-langage dont le contenu est significatif. La femme violentée projette, dans ces images et ces mots, des éléments qui sont importants pour elle. Il faut l’inviter à exprimer ce que signifient ces images, à quoi se rapportent les scènes choisies, etc. À nouveau, via un objet, la dimension émotive de son vécu est abordée de façon non menaçante.

jeudi 22 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 49e partie

Des Exercices pour faciliter l’accès aux émotions

Voici quelques exercices que vous pouvez utiliser pour aider les femmes battues à avoir accès à leurs émotions. Ces exercices permettent de mener une action à l’intérieur même du temps de l’entrevue. Ils brisent le rythme d’un échange uniquement verbal et offrent la possibilité de rejoindre la cliente d’une façon différente.

Identifier des cartes
Comme il est parfois pénible d’aborder certaines émotions et que la cliente n’est pas toujours consciente de certains de ses sentiments, le recours à un « matériel-support » peut-être intéressant. Voici une variante d’un exercice de conscientisation qui peut également être employé en groupe. Vous préparez des cartes sur lesquelles vous inscrivez certains sentiments : honte, tristesse, peur, angoisse, colère, échec, sentiment d’abandon, culpabilité, etc. Vous gardez également quelques cartes vierges pour que la cliente puisse y inscrire des sentiments qu’elle a vécus et qui ne figurent pas dans la liste proposée. Vous demandez à la femme violentée de choisir ceux qu’elle a éprouvés dans sa position de victime.

Celle-ci peut donc nommer certaines émotions qui lui sont propres et se sentir rassurée de constater que la plupart de ses sentiments sont déjà écrits. Cela la rassure. Ce sont des sentiments qu’il est normal de ressentir. Quelquefois, les femmes choisissent tous les sentiments. Elles les ont vécus à divers degrés et à différents moments. Parfois, un sentiment, représentant sa douleur la plus aiguë, submerge tous les autres. Quand la cliente a terminé son choix, vous lui demandez alors de parler de ses émotions et de raconter comment ces sentiments se vivent, se manifestent et s’expriment. Vous pouvez aussi favoriser l’amorce des verbalisations en lui suggérant de les classer selon leur importance – du plus lourd, ou du plus présent, au moins pénible – ou encore selon leur ordre d’apparition à la suite des actes de violence subis. Ces classifications évitent à la femme battue de se sentir étouffée par l’ensemble de ses émotions.

La cliente peut aussi coller au mur les différentes cartes classées. Cette vision de l’ensemble des émotions lui facilite le constat de ses blessures et souffrances tues, lui donnant une vision globale de ce qu’elle ressent. Cet exercice abaisse les résistances et facilite la « ventilation » des émotions les plus contradictoires. Finalement elle peut constater, en classant les cartes sur le mur, comment ses émotions se transforment et identifier celles qui persistent.

Il est intéressant de voir que l’emploi de ces cartes met en évidence des émotions jumelles. L’une est au début de la chaîne et l’autre, à la fin, et parfois, de façon inverse. Si la colère correspond au premier sentiment choisi, la tristesse clôt la chaîne. Si la gamme des émotions débute par la tristesse, elle se termine par la colère. Bon nombre de femmes battues ayant ajouté aux cartes proposées une carte vierge sur laquelle elles inscrivaient le mot « suicide », cette carte « suicide » fait maintenant partie du nombre des cartes proposées, même s’il ne s’agit pas d’une émotion.

Mimer une émotion
Les gestes peuvent exprimer ce que les paroles ne peuvent dire. Ainsi, vous pouvez suggérer à une cliente de mimer une émotion qu’elle trouve lourde à vivre, ou qu’elle ne parvient pas à nommer. L’émotion mimée est filmée, ce qui permet de visionner la scène par la suite. La cliente arrête l’image sur les expressions mimées qui rendent bien ce qu’elle ressentait. Avec cette photo d’elle, vous aidez la femme battue à nommer ce que ses bras veulent dire, ce que son corps ressent, ce que son visage exprime, etc. Vous pouvez participer à la découverte des divers sentiments reliés à la situation mimée, en livrant vos propres observations. Elle les confirmera ou elle y apportera des précisions qui lui permettront de poursuivre la découverte de ses diverses émotions.

Si vous ne disposez pas d’une caméra, vous pouvez utiliser un miroir. La cliente garde quelque temps la position qu’elle considère la plus importante et analyse les messages de son corps que lui renvoie le miroir.

Utiliser la respiration abdominale
Comme lors de l’entrevue de crise, les moments intenses sur le plan affectif peuvent être renforcés par un exercice de « centrage ». Cet exercice peut également s’utiliser pour diminuer les résistances de certaines femmes battues. Vous demandez à la cliente de fermer les yeux, de respirer profondément, de se détendre. Elle tentera alors de respirer en gonflant son ventre. Elle place les mains sur son ventre pour bien sentir sa respiration abdominale. Au moment où elle commence à être bien en contact avec elle-même, vous lui demandez de laisser « monter » le sentiment qu’elle contrôlait. Cet exercice suffit, dans bien des cas, à faire éclater l’émotion contenue. Vous poursuivez alors l’approfondissement de l’expression du sentiment en confirmant la valeur de l’émotion, en accompagnant la cliente dans les moments difficiles et en l’incitant à demeurer « en contact » avec ce qu’elle vit.

Si l’émotion n’est pas libérée, vous intervenez en reprenant les propres paroles de la cliente. « C’est angoissant de se sentir poursuivie, c’est angoissant de se sentir incapable de se protéger. » Ces verbalisations touchent directement le sentiment présent et permettent à la cliente de ressentir davantage l’ampleur de l’émotion qu’elle n’arrive pas à exprimer.

Regardons maintenant quelques tâches pouvant aider la cliente à apprivoiser et exprimer certaines émotions.

mardi 20 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 48e partie

Voici comment la cliente, qui avait dessiné le cœur de la figure 3, l’a redessiné après quelques rencontres

Elle se place maintenant au centre de son cœur et se réapproprie une partie de l’espace laissé vide par le départ de son conjoint. Cette nouvelle section ne pourra plus être concédée de nouveau. Elle garde vacante l’autre portion de cette place pour des relations affectives futures. Toutefois, elle indique que cette relation conjugale violente lui laisse une cicatrice (méfiante envers son ex-conjoint et sentiment de deuil devant la fin de la relation). Elle prend des moyens pour que son fils ne revendique pas le territoire laissé libre par son père. (application de nouvelles règles parentales structurées, punition lorsque son fils perd le contrôle, etc). De plus, elle a pris une partie de son territoire pour s’assurer de demeurer au centre de sa vie. Elle octroie une place plus grande à ses collègues de travail et se sent plus à l’aise à son travail. Elle réduit la place du frère qui tente d’envahir son espace (le refus à ses demandes sont des balises qui la protègent). Elle maintient cependant la section réservée à sa sœur. Elle augmente celle consacrée aux amis, pour maintenir les relations qu’elle apprécie et pour en intégrer éventuellement de nouvelles. Finalement, elle réduit la place de ses parents. La colère exprimée envers son père violent l’aide à adopter une attitude de retrait face à ses parents. Le territoire de sa mère demeure inchangé, mais celui de son père est considérablement réduit.

Susciter une démarche rationnelle-émotive
Les victimes de violence conjugale ont développé des principes et des valeurs qui les maintiennent dans leur position de retrait, d’effacement. Ces explications rationnelles, qu’elles se donnent, leur assurent une certaine survie émotive mais contribuent aussi, parallèlement, à les garder dans une situation de dépendance et de vulnérabilité. Certaines justifications leur servent également de protection contre la surcharge émotive inhérente aux agressions subies. Les femmes violentées ont intégré des mécanismes de défense pour se protéger de leurs émotions qui, autrement, les envahiraient. Pour s’autoriser à vivre les divers sentiments les habitant, les femmes battues ont besoin de percevoir leurs émotions sous un angle différent et neuf. Elles ont aussi besoin d’identifier les mécanismes de défense qu’elles ont élaborés pour annihiler ces émotions. Vous apporterez donc un nouvel éclairage sur la valeur des sentiments. Une case pour chaque émotion, voilà une méthode de survie qui permet aux victimes d’éviter de se sentir complètement détruites. L’ensemble du vécu émotif associé aux diverses agressions n’existe pas. La victime vit chaque agression comme étant un acte isolé, porteur de souffrances, mais l’ensemble de son vécu relié la violence lui échappe. Ainsi, chez la femme battue, la tristesse de ne pas être respectée ne s’ajoute pas à celle d’être maltraitée et violentée sexuellement, chaque vécu émotif demeurant isolé. Ce comportement lui donne l’impression de moins souffrir et lui permet de continuer à lutter contre l’effondrement.

Cette attitude de fuite fait l’objet d’une dénonciation de votre part. Vous regardez avec elle tous les exutoires par où les émotions manifestent leur présence : la somatisation, l’insomnie, la dépression, la consommation de drogue et/ou d’alcool. La femme violentée se voit confrontée à la réalité de la souffrance qui s’installe et s’accumule. De façon rationnelle, elle découvre l’existence de ses émotions et de ses mécanismes de négation. Elle peut voir les soupapes qu’elle utilise pour éviter d’affronter son vécu émotif. Ses propres pertes de contrôle face à ses enfants sont resituées dans l’éclatement de ses tensions accumulées. Cependant, cette analyse ne justifie nullement la perte de contrôle comme telle. Ainsi, la victime peut reconnaître ses mécanismes de défense et accepter la présence de ses sentiments.

Un autre principe qu’il faut modifier est celui affirmant qu’il est possible de se couper entièrement de ses émotions. Certaines femmes battues disent qu’elles ne ressentent plus aucune émotion. « Tout me coule dessus comme sur les plumes d’un canard. » Cette expression utilisée par une femme battue révèle, en fait, un déni de ses émotions. Cette attitude peut se maintenir quelque temps mais ses conséquences peuvent être redoutables : perte de contact avec la réalité, dépression, agressions, meurtre.

La femme battue doit apprendre que ce mode de fonctionnement indique qu’elle vit des sentiments pénibles et écrasants, qu’il est urgent qu’elle réagisse et libère progressivement ses émotions. Vous lui rappelez qu’elle est en situation de danger et perd ses moyens de défense en niant ce qu’elle vit. En effet, pendant cette période, la victime n’a plus ses « antennes protectrices » qui lui permettaient de détecter la progression du climat de violence. Elle risque de ne plus être consciente du danger dans lequel elle se trouve. Lui exprimer votre inquiétude à son égard peut lui faire prendre conscience de l’urgence de sa situation. Vous l’informez également du risque d’éclatement des tensions. Partager avec elle les motifs de cette défense émotive peut l’inciter à reconnaître quelques-unes de ses peurs et favoriser l’extériorisation de son vécu émotif.

La confirmation de ses émotions par l’agresseur fait partie des règles du jeu qu’il impose à sa victime. La femme battue accorde donc une grande importance à la validation de ses émotions par l’autre. Elle craint d’être ridicule en verbalisant ce qu’elle ressent. Pour aller de l’avant, elle attend souvent l’assentiment de l’autre. Ce mode de fonctionnement est discuté avec la victime. Ses inhibitions s’atténuent lorsqu’elle comprend ce processus de contrôle de l’agresseur. En valorisant ses capacités et ses émotions, la femme battue augmente sa confiance en elle et accepte davantage l’exploration de ses émotions.

Modifier certaines cognitions
Pour s’armer émotivement contre les manipulations de l’agresseur, la femme violentée doit apprendre à se débarrasser de ce qui ne lui appartient pas dans la situation de violence. En se distanciant des événements et en ayant un regard nouveau sur les méthodes d’oppression de l’agresseur, la cliente peut mieux se voir comme une victime et non comme un individu aux prises avec la « folie ». Vous pouvez accompagner ce type de réflexion en partageant avec elle, diverses connaissances sur la dynamique de la violence conjugale. Le cheminement émotif se fera de façon complémentaire.

Toutefois chez certaines femmes violentées, la reprise de possession de leurs émotions est, malgré tout, difficile à faire. Un certain « matériel-support » peut s’avérer efficace, dans ce cas.

samedi 17 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 47e partie

Voici un exemple d’un dessin du cœur fait par une femme violentée.

Ce dessin a permis à la cliente de prendre conscience qu’elle n’avait pas le droit d’exister. Dans un premier temps, elle a verbalisé des sentiments de tristesse lorsqu’elle a réalisé qu’elle n’occupait aucune place dans sa vie.
Par la suite, elle a éprouvé de la colère et de la révolte. Elle se sentait étouffée par l’agresseur et par sa famille immédiate. Elle se sentait abandonnée à la suite de sa rupture avec son conjoint violent. La section occupée par ce dernier devenait une zone de honte, de culpabilité. Elle portait les torts de la rupture puisque l’agresseur refusait une telle solution. Elle lui conservait un espace dans son « cœur », ne sachant pas encore si elle parviendrait à affronter la peur de la solitude et l’angoisse de répondre seule aux besoins de son fils. De plus, elle vivait péniblement les demandes excessives de son frère qui exerçait des violences psychologiques sur elle. Celui-ci la culpabilisait d’avoir amorcé un processus de séparation. La cliente a identifié, à partir du dessin de son cœur, qu’elle avait deux agresseurs et que l’un et l’autre prenaient de plus en plus d’espace, la réduisant à un rôle de servante. Elle a d’ailleurs dessiné l’excroissance qu’elle devrait faire à son cœur pour répondre aux demandes supplémentaires de son frère, après le départ de l’agresseur.

C’est donc à partir de cette technique du dessin que la femme violentée a pu « avoir accès » à certaines émotions qu’elle a pu clairement identifier. Elle est partie avec son dessin. Il représentait une étape importante dans son cheminement.

Le deuxième niveau d’exploration de ce dessin s’élabore à partir d’une image mentale qui doit aider la cliente à approfondir certaines émotions. Vous invitez la femme battue à fermer les yeux. Elle tente de voir et de sentir son cœur, en respirant lentement, afin de se « connecter » avec la représentation de son cœur. Pour faciliter l’exercice, vos pouvez faire progressivement des suggestions à la cliente. Son cœur est-il fatigué, essoufflé, le sent-elle gai, triste, anxieux, ou encore excité? Bat-il rapidement, avec peine? Si elle retient l’une de ces suggestions, vous lui demandez de laisser son cœur s’exprimer pour qu’il raconte ce qui le rend essoufflé ou heureux, etc. Est-ce qu’il sait pourquoi il se sent comme ça? Cette sensation l’attriste-t-il ou l’épuise-t-il? Encouragée à s’exprimer en se centrant sur ses émotions, elle parviendra à dégager de nouveaux sentiments et à accepter d’en laisser surgir d’autres, difficiles à vivre.

Il suffit parfois de quelques suggestions pour que la cliente poursuivre d’elle-même la description de son cœur et de ses émotions. Reçoit-il tout le sang dont il a besoin, dans toutes ses sections? Se sent-il desséché? Lorsque la femme battue « ventile » certaines émotions, vous continuez à mettre en valeur ces sentiments : « il a bien raison de se sentir triste, il a beaucoup de morceaux cassés. »

Ces images mentales peuvent se poursuivre avec une variante. Si les descriptions de la cliente demeurent à un niveau rationnel, vous lui proposez la simulation suivante : vous êtes la voix de son cœur à laquelle elle répond. Vous lui parlez évidemment du contenu émotif de ce dernier. Voici un exemple :

Intervenante (le cœur) : Je suis fatiguée de « battre » pour tout le monde, de m’épuiser et de ne jamais penser à moi.

Cliente : Tu as fait cela toute ta vie. Ça te rend heureux de le faire pour les gens que tu aimes.

Intervenante (le cœur) : Tu dis cela parce que tu ne m’écoutes jamais. Si tu m’écoutais, tu saurais que je suis triste. Tu sais bien que des fois j’ai envie de cesser de « battre ».

Cliente : Je me sens vraiment comme si j’étais morte….
Le contenu exploré lors de cet exercice reprend des sujets déjà évoqués indirectement par la femme battue ou aborde un contenu émotif qu’elle fuit. Si les sentiments suggérés ne sont pas conformes à ceux qu’elle ressent, la cliente propose une autre émotion plus appropriée et cette correction lui permet de poursuivre sa progression personnelle. Toutefois, les négations ou les fuites de la cliente sont soulignées et travaillées de la même façon que ses résistances.

Au cours de rencontres ultérieures, cet exercice peut être repris. C’est alors la femme violentée qui mène elle-même la discussion : la tête parle au cœur et ce dernier lui répond. Le dialogue se fait de la façon suivante : le rationnel versus l’émotif. Le rôle de l’intervenante consiste uniquement à s’assurer que le contenu soit rationnel, dans un cas, et émotif, dans l’autre. Voici un court exemple :

Le cœur : J’ai besoin que tu t’informes de moi.
La tête : Je t’entends.
Le cœur : Mais tu ne m’écoutes pas, tu n’accordes pas d’importance à ce que je vis.
La tête : Je reconnais ta souffrance.
Le cœur : Je suis content que tu reconnaisses ma souffrance et je suis certain que tu y répondras.

L’intervenante interrompt l’échange parce que la dernière verbalisation du cœur ne correspond pas aux gestes posés par la cliente au cours des jours précédents. « Je ne suis pas certaine que ton cœur ait parlé librement lors de la dernière expression. Qu’est-ce que la tête essaie de contrôler en parlant à la place du cœur? » À partir de cette réflexion, la femme violentée essaie d’identifier quels sentiments elle tente d’étouffer ou de nier.

Les images mentales sont un moyen d’aborder symboliquement des situations empreintes d’émotion. Ce type de technique n’est pas menaçant et permet la découverte de sentiments.

La troisième possibilité de travail avec le dessin du cœur concerne l’exploration des sentiments reliés aux pertes subies. La cliente dessine les parties de son cœur qui la font souffrir. Vous lui demandez si elle a d’anciennes blessures qui se sont cicatrisées. Si elle répond affirmativement, elle dessine les endroits où se trouvent ces cicatrices. Vous pouvez voir avec elle ce que signifient ces vieilles blessures, ce qu’elle a vécu et ce qu’elle ressent encore en les dessinant. Le symbole des cicatrices permet, dans certains cas d’identifier, avec la cliente, des expériences qui la confinent à un sentiment d’impuissance et à la passivité, comme un inceste dont elle a été victime dans son enfance, son passé douloureux d’enfant battue, etc. Il y a également des gestes dont elle se sent coupable : un avortement, le placement temporaire de ses enfants, etc. Les cicatrices, souvent associées à des expériences pénibles, sont, dans bien des cas, porteuses de culpabilité, de honte ou d’un sentiment d’échec. Elles génèrent parfois des sentiments analogues à ceux éprouvés dans la situation de violence conjugale.

Dans la figure 3, la femme violentée a identifié deux de ses blessures : celle faite par son fils, lors de la séparation du couple, et celle reliée à son passé d’enfant battue. La première blessure rappelait à la cliente la culpabilité qu’elle ressentait envers son fils et les comportements d’agression de ce dernier envers elle. La deuxième blessure lui rappelait le sentiment qu’elle avait d’avoir été rejetée par son père. À cela s’ajoutait la peur de prendre sa place et de faire des demandes. De plus, la femme disait ressentir des peurs semblables face à son conjoint.

Dans le même ordre d’idée, la cliente peut dessiner ses plaies et ses blessures actuelles et, en tenant de nommer ces douleurs et de vivre les émotions qui s’y rattachent, elle peut aussi noter ci certaines parties de son cœur saignent. Dans la figure 3, la cliente a dessiné des gouttelettes, de sang à deux endroits : celui de son fils et celui de son conjoint. Ces gouttes de sang symbolisant la tristesse causée par la perte de sa famille et par les agressions de ces deux personnes. La femme violentée peut alors « ventiler » les sentiments immédiats qu’elle éprouve. Vous lui offrirez le soutien nécessaire pour qu’elle s’autorise et réussisse à verbaliser son vécu émotif. Vous l’aiderez à demeurer centrée sur elle-même, afin qu’elle parvienne à libérer ses tensions émotives.

Le sentiment d’abandon, consécutif au départ effectif ou probable de certaines personnes, peut être représenté par les « vides » laissés dans le cœur. Cette étape du dessin met en évidence certaines peurs des femmes violentées : la peur de la solitude, le sentiment d’abandon, le vide affectif. La rupture possible de la relation est alors discutée, avec tout ce qu’elle soulève de craintes et d’appréhension chez la femme. De plus, il est possible d’aborder les moyens que se donne la cliente pour survivre en dépit de ce cœur blessé. Elle peut prendre conscience des mécanismes qu’elle a mis en place pour maintenir au minimum ce cœur en vie. Comment comble-t-elle les « vides »? Que fait-elle avec l’énergie qui se perd par les saignements?

Dans la figure 3, les pertes de la rupture sont représentées par les parties hachurées. Cette femme se retrouvait face à un vide affectif important à la suite du départ de l’agresseur. De plus, sa sœur lui retirait son affection parce qu’elle ne croyait pas en la capacité de persévérance de la cliente. Pour éviter que les « vides » ne s’agrandissent, cette cliente tentait de répondre aux demandes excessives de son entourage. Elle se sentait alors exploitée et non respectée par les autres.

La dernière étape de la technique du dessin du cœur s’appuie sur l’importance pour la femme violentée est de se « donner une place » et de prendre soin d’elle. Quand les diverses blessures auront été identifiées et leur contenu émotif exploré, la cliente essaiera de trouver des moyens pour soigner son cœur : se faire une place à soi, s’aimer, se reconnaître le droit d’être, d’avoir des besoins, de s’affirmer, etc. Elle évaluera également le coût et les risques de ces moyens. En contre-partie, elle devra aussi estimer ce qu’il lui en coûtera de na pas s’occuper des besoins de son cœur.

mercredi 14 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 46e partie

La technique du cœur
Cette technique permet d’aborder avec la cliente, les questions suivantes : ses blessures émotives, ses pertes personnelles, son estime de soi, la notion de territoire et ses sentiments actuels. Cela peut faire l’objet de plusieurs entrevues et servir de point de référence pour explorer les sentiments reliés à de nouvelles situations de vie. Selon les besoins de la cliente, cette technique peut être employée à différentes étapes de l’intervention.

Voici les quelques consignes pour la réalisation du dessin du cœur. Vous proposez à la femme battue de faire un exercice qui permettra d’échanger sur ce qu’elle vit. La directive consiste uniquement à lui demander de dessiner son cœur et de nommer ceux qui l’habitent. Pour cela, elle divise son cœur en plusieurs parties et cela, en fonction de la place que les personnes ou les choses occupent dans sa vie.

De façon générale, les femmes divisent donc leur cœur en y plaçant les personnes importantes de leur vie. L’agresseur y occupe une grande place, comme habitant du cœur ou comme blessure, à la suite d’une rupture. Il est très courant de constater que les victimes ne se donnent aucune place dans leur cœur. Cette constante se retrouve également chez un grand nombre de femmes, même si elles n’ont pas été violentées.

Le premier niveau d’échange avec la femme battue se fait à partir de la place qu’elle s’est donnée, ou pas, dans le dessin qu’elle a fait. Il est alors possible de l’inciter à verbaliser les sentiments qu’elle éprouve devant l’absence ou le peu d’espace qu’elle s’est octroyée. Vous pouvez vérifier, avec elle, si elle se trouve vraiment dans cette situation et lui demander ce qu’elle ressent devant le fait de ne pouvoir prendre la place qui lui revient dans son couple, dans sa famille et dans son milieu. Il est alors possible d’explorer les peurs qui la maintiennent dans cette position et ce qu’elle redoute en revendiquant un territoire, une zone personnelle. L’échange se poursuit sur les moyens qu’utilisent les gens qui l’entourent pour la maintenir dans un espace aussi restreint. Elle est alors amenée à identifier quels sont ses sentiments face aux revendications incessantes et envahissantes des autres.

La femme battue réfléchie alors sur cette place qu’elle n’a pas ou sur celle, minime, qu’elle occupe. Elle tentera de nommer les souffrances auxquelles elle est exposée, lorsqu’elle s’insurge contre cet espace vital réduit qui est le sien. Certaines femmes constatent alors qu’elles n’ont pas le droit d’exister pour elles-mêmes et qu’elles ont cessé de penser à elles. Cette prise de conscience douloureuse fait surgir des émotions. Vous donnez alors du support à la cliente afin de l’aider à se centrer, le plus possible, sur ce qu’elle vit et à poursuivre son cheminement.

Après ces premières rencontres qui abordent essentiellement la situation sous l’angle de l’émotivité, la prise de conscience de la dimension sociale du problème (la conscientisation) devient un élément important qui soutiendra la démarche de la femme battue. En établissant des alliances et en donnant des informations concrètes, vous pouvez sensibiliser la cliente à la situation des femmes dans notre société et au fait qu’elles apprennent peu à revendiquer leur territoire. De plus, la règle de l’agresseur, qui consiste à contrôler l’espace vital de sa victime pour maintenir son pouvoir et sa force, est abordée avec la cliente. Resituer le problème dans son contexte social et dans sa dynamique. Ces informations évitent qu’elle se dévalorise, du fait de ne pas revendiquer sa place.

Par la suite, la femme violentée analysera le territoire qu’elle a accordé à chacun dans son « cœur ». Ces espaces, sont-ils fixes? Y-a-t-il des guerres de territoire entre ces « habitants de son cœur »? Lorsque surgissent des conflits, quels sont les perdants? Il est aussi important de regarder, avec elle, ses réactions aux demandes excessives des autres. Essaie-t-elle de répondre à tous en réduisant son peu d’espace? Évite-t-elle de s’opposer aux demandes en tentant d’agrandir de façon impossible son cœur? Elle se reconnaît souvent comme la perdante dans ces agressions et parvient à identifier ses pertes personnelles. Cette étape aide la victime à se centrer sur elle-même et à nommer certains de ses sentiments.

mardi 13 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 45e partie

Récupérer ses émotions
Pour survivre, la femme violentée a bien souvent inhibé ses sentiments et censuré certaines situations empreintes d’émotions. Elle a également appris à ne pas laisser surgir les émotions qui risquent de rompre l’équilibre précaire de sa relation de couple, comme la colère et le sentiment de frustration. Elle sait que l’expression de tels sentiments risque d’irriter l’agresseur et de provoquer chez lui une crise de violence. Elle a donc parfois la sensation de ne plus éprouver certaines émotions. Une femme battue disait ainsi : « Si je devais ressentir toute la tristesse que j’ai cachée en moi, je pleurerais plusieurs jours sans arrêt. J’ai donc cessé d’éprouver de la peine. »

Favoriser l’entière expression des émotions permet à la victime de faire un premier pas vers la découverte d’elle-même. Pour réapprendre à s’estimer, la victime a besoin de se « réapproprier » ses émotions, de les affronter, de la raviver et de les exprimer. Cette démarche sur ses états émotifs favorise sa reprise de contact avec elle-même, ainsi que la découverte de sa sensibilité et de sa richesse intérieure. L’accès à ses sentiments permet à la femme victime de violence de se voir comme un individu à part entière, avec ses douleurs, ses pertes et ses capacités de survie. Elle parvient alors à rompre le silence, ce qui réduit déjà son sentiment d’impuissance.

Libérez la surcharge émotive favorise la mobilisation de la victime vers des actions concrètes qui mettront fin à sa situation de victime.

Les praticiennes craignent souvent, au début de leur intervention auprès de cette cliente, d’augmenter la souffrance des femmes battues en favorisant l’émergence de leurs sentiments. Cette crainte est celle du sauveteur et témoigne du pouvoir qui est associé à ce rôle. Une attitude de surprotection ne peut que confirmer à la cliente son impuissance et son incapacité. Cette dernière se voit privée des capacités dont elle a fait preuve pour survivre. Dans ce mode d’intervention, la praticienne occulte les sentiments présents chez la cliente. Le fait que cette dernière ne les identifie pas ne réduit en rien sa souffrance. L’énergie qui maintient ses mécanismes de défense ne peut être libérée. Il est donc important d’explorer le vécu émotif et de favoriser l’émergence des sentiments.

Avant de passer aux techniques permettant de favoriser l’expression des émotions chez la cliente, rappelons que les femmes battues éprouvent en général un grand sentiment d’ambivalence. Ce sentiment les habite pendant longtemps. Il est maintenu par leur tolérance à la violence, leur désir de faire quelque chose pour la faire cesser et leur peur de subir de nouvelles agressions. L’ambivalence reflète également le dilemme que vivent les femme battues, partagées qu’elles sont entre les rôles traditionnels (mère-épouse) et leurs besoins personnels. Les femmes battues ont de la difficulté à se situer émotivement par rapport à l’agresseur. La situation de victime intensifie ce sentiment. Quel que soit leur changement d’attitude envers l’agresseur, cela se retourne toujours contre elles et donne lieu à de nouvelles scènes de brutalité. Elles apprennent donc à hésiter et craignent toute modification de leur comportement envers leur partenaire. Ces expériences nourrissent l’ambivalence des femmes violentées, dans la moindre de leurs décisions. Finalement, l’ambivalence surgit surtout lorsque la femme battue est confrontée à sa survie et aux règles sociales de sa condition de victime. D’une part, elle sait qu’elle risque de mourir, d’autre part, elle est constamment acculée socialement à son rôle de mère, d’épouse et de victime.

Soutenir la femme battue dans son droit aux émotions
Lorsque la femme violentée peut enfin s’exprimer sur la violence qu’elle a vécue et que, pour la première fois, elle rompt le silence et se sent acceptée dans son discours de victime, beaucoup de ses sentiments perdus ressurgissent. Si elle réussit à les voir et à les identifier, elle se considérera comme une personne et non plus comme un objet d’agression.

La cliente a besoin de verbaliser les émotions que les agressions lui ont fait ressentir et qu’elle a annulées jusqu’alors. En la soutenant et en l’encourageant à libérer ses émotions, elle parvient spontanément à extérioriser ses sentiments les plus vifs : la peur, la honte, la culpabilité, l’échec. La colère et la révolte viendront par la suite. Vous créez un climat de confiance afin de rassurer la cliente dans sa démarche émotive. Pour ce faire, vous l’aiderez à se donner la permission de parler d’elle-même : « C’est important ce que tu dis, prends tout ton temps, accepte de prendre, pour toi, ce moment de rencontre. »

Progressivement, elle commencera à nommer ses blessures physiques, sexuelles et psychologiques. Il n’y a qu’un pas alors pour qu’elle verbalise les sentiments qui s’y rattachent. Vous maintenez l’échange au niveau émotif en aidant la cliente à demeurer centrée sur ces émotions par des interventions d’universalisation, identifiant les sentiments communs aux victimes, aux femmes, aux mères, par des interventions communs aux victimes, aux femmes, aux mères, par des interventions de support, validant les émotions exprimées, nommant les sentiments qui surgissent de façon non-verbale, reconnaissant la difficulté de vivre certaines émotions, par des interventions d’alliance, vous impliquant personnellement et dénonçant la violence, et par l’expression d’une solidarité, rappelant les normes de victimisation imposées aux femmes et les valeurs sociales qui les enferment dans le silence. Par ces interventions, vous répondez au besoin qu’à la cliente, dans l’exploration de ses émotions, d’être écoutée et acceptée comme une personne à part entière. Voici quelques actions clés qui favorisent l’expression des émotions. Vous reconnaissez que certaines émotions sont difficiles à vivre : « C’est vrai que ce n’est pas facile de laisser surgir toute cette tristesse….elle est tellement grande que, parfois, on redoute l’instant où elle se manifestera. » Vous devez parfois l’autoriser à vivre ce qu’elle ressent : « Essaie de ne pas contrôler l’émotion qui se manifeste. » L’aider à faire un constat : « Tu as peur de ce que tu vas découvrir en acceptant de penser à toi. » Il faut parfois « valider » certaines émotions : « Après un acte d’agression, il est normal de se sentir perdue et décontenancée. »

Pour alimenter ce qui a été amorcé sur le plan émotif, il peut être pertinent de résumer un événement auquel s’associe un sentiment déjà nommé par la cliente : « Tu devais te sentir blessée lorsqu’il te ridiculisait devant ses amis. » Dans le même ordre d’idée, « la reformulation de mots clés », qui sont porteurs d’émotions et reprennent les paroles de la cliente, peut inciter cette dernière à poursuivre ses verbalisations : « La peur de se retrouver seule en dehors de la famille fait partie de tes angoisses. »

Certaines interventions visent à centrer la cliente sur elle et à la ramener à ses émotions lorsqu’elle tente de les fuir : « Tu gardes le silence lorsque nous abordons la perte de tes amies. » Ces quelques techniques traditionnelles demeurent efficaces, si elles sont employées dans le contexte d’une intervention de type affirmatif et d’un climat de solidarité où n’existe aucune volonté inquisitrice.

dimanche 11 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 44e partie

Des exercices pour soutenir l’intervention

Afin que la cliente puisse voir plus clairement sa position de victime, regardons quelques informations qui peuvent soutenir sa réflexion


L’enseignement de l’escalade de la violence.
En comprenant le déroulement du cycle de la violence, la femme violentée réussit à mieux comprendre sa relation avec l’agresseur. Elle parvient à mieux analyser les événements et à se distancier de la situation. En réduisant sa culpabilité, la cliente réalise que la violence existe depuis un certain temps et qu’elle se sent responsable de son évolution. Cette information rend son analyse plus objective. La femme violentée peut également constater le cercle vicieux dans lequel elle évolue.

Pour compléter l’information, vous dessinerez l’escalade de la violence avec, à chaque palier, les différentes formes de violence. De plus, vous lui confirmerez la forte probabilité d’un accroissement des brutalités et le danger qu’elle court. La femme violentée pourra alors évaluer le degré de violence qu’elle subit, reconnaître l’urgence de sa situation et se mobiliser.

Finalement, elle tentera d’établir les pertes psychologiques et émotives qu’elle a subies jusqu’alors. Elle réalisera que sa vie dans un tel contexte a affecté l’estime qu’elle a d’elle-même.

Le Fonctionnement d’un agresseur
Puisque la victime se sent responsable des pertes de contrôle de son agresseur et qu’elle a intégré les justifications de ce dernier, vous résumerez le fonctionnement d’un agresseur, afin qu’elle modifie son regard sur la situation. À partir de ces informations, la réalité du danger qu’elle court deviendra plus nette.

Vous l’informerez qu’un agresseur n’est pas nécessairement un homme à l’allure menaçante, ni un malade mental. Il a toutefois de la difficulté à contrôler son agressivité et exprime peu son émotion. Il exige beaucoup de la part de sa partenaire. Celle-ci doit répondre à ses moindres attentes, il surveille ses fréquentations et ses sorties. Il a souvent tendance à isoler sa victime et exige, pour cela, qu’elle passe le maximum de temps au domicile familial.

Il démontre beaucoup d’impatience et tolère peu les erreurs de sa conjointe ou de ses enfants. Il manque de respect envers sa partenaire, la considère comme sa servante, ridiculise ce qu’elle fait et ne valorise aucune de ses réussites. Il se montre excessivement jaloux et va même jusqu’à douter constamment d’elle.

Parfois, il souffre d’un problème de consommation d’alcool. Toutefois, les comportements violents ne disparaissent pas quand il est sobre. Prendre un verre lui sert souvent d’excuse pour justifier sa perte de contrôle. Il tient sa victime responsable de ses gestes violents. Elle l’a toujours provoqué, elle a toujours eu une attitude qu’il ne pouvait tolérer, etc.

Il a très peur de perdre sa victime, il tentera donc de la récupérer rapidement après l’agression, fera des promesses, s’excusera, promettra de ne plus recommencer, etc.

Vous confirmerez à la cliente que les facteurs déclenchants – retard du souper, stress, conflit avec les enfants, etc, - n’ont pas véritablement de lien avec le fait qu’elle soit maltraitée. Les pertes de contrôle sont plutôt reliées au vécu de l’agresseur – il est triste, en colère, déçu, etc – et non aux événements comme tels. Ceux-ci ne représentent que la goutte qui fait déborder le vase.

Identifier les différents fonctionnements des agresseurs permet à la cliente de démystifier sa situation, de relativiser les justifications de son agresseur et de découvrir qu’elle a intégré un bon nombre de ces justifications. Ces informations l’aident à se questionner sur les raisons qu’elle donne pour expliquer les pertes de contrôle de son conjoint.

Le Tableau des conséquences de la position de victime

Maintenant qu’elle se reconnaît comme une victime, la cliente dressera un tableau des conséquences du maintien de son attitude de passivité. Elle essaiera également de nommer les pertes liées à son comportement de retrait. Ces pertes sont souvent interprétées, par la victime, comme des gains à court terme puisqu’elles entraînent une réduction des affrontements dans le couple (elle garde le silence, ne revendique aucun besoin), une diminution des agressions (Cela ne contredit pas les énoncés de l’agresseur et répond à ses demandes) et une baisse des tensions (elle assume seule l’éducation des enfants, elle se retire lorsqu’il consomme de l’alcool). Elle assure la survie, sans plus. La femme battue ne réalise pas qu’elle n’a que peu ou pas de gains réels. Ce tableau procure à la cliente un moyen de réviser son évaluation : les tensions ont diminué, mais son inconfort personnel s’est accru.

La cliente est maintenant invitée à regarder comment l’agresseur interprète son attitude de passivité. Comment reçoit-il ses comportements de retrait? Vous accompagnerez sa réflexion en identifiant quels sont les avantages que son attitude accorde à l’agresseur. Il se voit confirmé dans ses exigences, la victime répond dans sa position de domination de même que dans le droit qu’il accorde d’imposer ses règles et ses normes de fonctionnement. Elle découvre que, dans cette position, l’agresseur obtient d’elle le rendement qu’il impose. Elle réalise également qu’il se sent justifié de ne pas la respecter.

La passivité maintient la position de dominée et renforce l’agresseur dans son rôle d’oppresseur. Certaines violences peuvent être évitées à court terme. Mais cette inaction assure le maintien des règles de violence et une perte de terrain certaine de la femme battue. De plus en plus, elle devra réduire ses besoins, se faire petite, voire inexistante pour éviter les agressions. Vous informez la cliente qu’elle ne pourra mettre fin à la violence de cette façon. Le pouvoir appartient à l’agresseur. La puissance de celui-ci augmentera en fonction de la perte de pouvoir de la victime. Aucune limite ne peut être fixée puisque la victime réduit progressivement son espace personnel. De son côté, l’agresseur ne s’imposera de limites que lorsqu’il rencontrera une résistance ou qu’il fera face à la perte imminente de sa partenaire. Vous confirmez alors à la cliente qu’elle n’a pas le pouvoir de changer les comportements de l’agresseur. Cette démarche n’appartient qu’à lui seul. Toutefois, elle peut refuser sa position de victime et ne plus la maintenir. L’agresseur décidera de son côté, s’il désire modifier ses attitudes pour ne pas perdre sa partenaire.

Cette analyse de la passivité de la victime doit être resituée dans l’ensemble de la dynamique de la violence. Bien souvent, la cliente connaît cette réalité. Elle a parfois besoin d’obtenir une confirmation des doutes qu’elle a et n’ose s’avouer.

La femme battue connaît très bien le prix de ses pertes personnelles. Elle sait qu’elle perd constamment de la confiance en elle, qu’elle craint pour sa sécurité mentale et physique. Elle reconnaît rapidement les difficultés somatiques qu’elle éprouve. Elle nomme aussi les problèmes que cela crée chez les enfants. Prendre le temps de faire l’addition de ces pertes permet à la cliente de voir le cul-de-sac dans lequel elle se trouve. Elle peut mieux se représenter ce qu’implique sa position de victime.

La perte d’estime de soi est associée aux vécus de violence. C’est pourquoi il est pertinent de parler, avec les femmes battues, de la position de victime. Ces dernières peuvent alors se déculpabiliser de leur perte de confiance en elle et recommencer à se « privilégier » pour restaurer leur estime de soi.

S’il est important que la femme battue reconnaisse sa position de victime, il est aussi nécessaire qu’elle se réapproprie ses émotions afin d’augmenter son estime de soi.

jeudi 8 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 43e partie

Les Différentes formes de violence
En racontant les événements qu’elle a connus et les motifs qui l’amènent à demander de l’aide, la cliente nommera les diverses formes de brutalité qu’elle a subies. Sans distinguer clairement les catégories de violence (verbale, psychologique, physique), elle exprimera son vécu de victime. Le fait de retracer ses expériences d’agression aide la femme battue à dresser un tableau plus clair de sa situation. En effet, elle peut reconnaître l’ensemble des agressions et mieux voir l’escalade de la violence. Sa perception morcelée des événements s’atténue. Ce regard favorise en elle une prise de conscience l’aidant à identifier sa position de victime.

Votre dénonciation de la violence « renforce » le cheminement de la cliente vers l’acceptation de la réalité que représente la violence dans sa vie. Vous nommerez les différentes formes de brutalité qu’un agresseur manifeste envers sa victime, afin que la cliente puisse identifier celles qu’elle a connues. De plus, vos « réassurerez » la victime sur l’unique responsabilité de l’agresseur face à ses pertes de victime sur l’unique responsabilité de l’agresseur face à ses pertes de contrôle. Comme individu, la victime a aussi des difficultés personnelles et des comportements qui peuvent être répréhensibles. Toutefois, il n’y a rien qui justifie la violence. Le geste d’agression appartient à la personne qui commet l’acte de brutalité. Il faut donc bien différencier le conflit conjugal du geste de violence. Il est évident que la relation de couple est conflictuelle, mais la violence est un problème supplémentaire qui n’est ni acceptable, ni justifié. La victime n’est donc aucunement responsable de la perte de contrôle de l’agresseur, peu importe les circonstances qui ont précédé la scène de violence.

Pour que la cliente se sente soutenue dans l’identification de sa situation de victime, vous répertoriez avec elle les diverses formes de violence. Vous soulèverez l’aspect destructeur de la violence psychologique minant l’estime et la confiance en soi. Vous reprendrez certaines paroles qui illustrent la violence psychologique, citerez des exemples qu’elle a elle-même apportés et qui rejoignent cette forme de violence. Elle associera à ces exemples ce qu’elle a ressenti lors de ces agressions.

Vous échangerez aussi sur les gestes utilisés par l’agresseur pour la maltraiter – et resituerez ces gestes comme étant l’amorce des violences physiques qui s’installent, s’intensifient et se rapprochent de plus en plus dans le temps. Les incidents de violence peuvent être éloignés les uns des autres, mais cela fait partie d’un continuum. Il est donc de ne pas isoler chaque événement et de l’expliquer par un facteur déclenchant. Sans dramatiser, il est essentiel de bien décrire la progression de la violence et son effet d’entraînement. Vous situerez les autres agressions physiques : gifler, frapper à main ouverte, avec les poings, les pieds. Par la suite, vous montrerez la progression de la violence qui s’est manifestée par l’utilisation d’objets : bâton, couteau, allumettes, fusil. La violence sexuelle sera également dénoncée comme moyen ultime pour abaisser et soumettre la victime : les relations sexuelles sous la contrainte, par exemple, les relations sexuelles exigées de la victime après de mauvais traitement, la présence d’une arme sous l’oreiller ou le lit, les échanges de partenaire, la sodomie, la pénétration avec des objets, etc.

Finalement les risques d’homicide seront reconnus. La peur que ressent la victime d’être tuée n’est pas le résultat de ses fantaisies. Vous confirmerez à la cliente l’importance de faire confiance à ses « signaux d’alarme ». Vous l’inciterez à parler des moyens de protection qu’elle a adoptés pour assurer sa sécurité, et vous essayerez d’évaluer ensemble la possibilité de les renforcer.

Dès que la cliente reconnaît sa position de victime, elle peut se mobiliser et prendre des moyens pour se protéger. Se faire confirmer qu’elle est victime de violence l’aide parfois à penser à elle-même et à veiller à sa protection. Dans certains cas, elle devient consciente du danger qu’elle court et de l’urgence d’agir. En effet, une femme battue, qui est submergée par son sentiment d’impuissance, ne se mobilise même plus pour sa survie et perd la notion du danger. Qu’une personne dénonce ce danger peut la remobiliser et même générer une situation de crise où la victime retrouvera ses énergies.

Cette démarche d’identification du vécu de violence aide la femme battue à changer sa perception des conflits familiaux.

Les Discours sociaux culpabilisants
Le silence de la victime est souvent associé à la peur qu’elle a des jugements sociaux. La femme battue craint d’être perçue comme étant responsable de sa situation. Il est également humiliant et violent pour elle de se faire questionner sur sa responsabilité dans la perte de contrôle de l’agresseur. Ces jugements sociaux, encore nombreux, pénalisent les femmes victimes de violence.

Ces pressions contribuent à accroître leur tolérance à la violence et à augmenter leur perte d’estime de soi. Il peut donc être important pour la cliente d’entendre un discours qui va à l’encontre des discours et des propos négatifs tenus sur les femmes battues. « Aucune femme n’aime être violentée. La perte de contrôle appartient à l’agresseur. Il n’y a rien qui justifie la violence. Les difficultés économiques et sociales d’une séparation contribuent à ce que les femmes retournent ou tolèrent davantage la violence. La victime ne sait plus trop quoi penser de son conjoint, l’agresseur est tellement gentil après les scènes de violence. Aimer un individu et tolérer la violence, ce sont deux choses différentes. »

Dénoncer les jugements sociaux permet à la cliente, de reconnaître sa position de victime, sans se sentir coupable ou honteuse de ce qui lui arrive. « Les femmes victimes de violence font l’objet de beaucoup d’injustices dans notre société. C’est facile de taire la violence conjugale en responsabilisant les victimes. Ce n’est pas un hasard si les femmes sont les victimes dans notre société, cela reflète la domination à laquelle elles sont soumises dans le mariage, où elles vivent en fonction du bonheur des autres, dans la peur du viol et dans la certitude de ne pouvoir se protéger elles-mêmes. » Ces positions dénoncent l’aspect socio-politique de la violence et déculpabilisent les femmes d’avoir été victimes de brutalités.

Ces paroles permettent à la femme battue de ne pas se mépriser parce qu’elle est une victime. Elle se culpabilise déjà suffisamment de ses expériences de violence et de la perte de son estime de soi.

mardi 6 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 42e partie

Des techniques d’intervention
Nous retiendrons trois techniques d’intervention permettant à la cliente de reconnaître sa situation de victime. Tout d’abord, une certaine restructuration de ses connaissances « cognitives » peut s’amorcer avec l’utilisation de l’analyse transactionnelle. Par la suite, un échange se fera sur les différentes formes de violence et, finalement, la place de victime sera située dans le contexte de l’oppression des femmes. Regardons dans un premier temps les différents moyens que vous pouvez utiliser pour favoriser une restructuration cognitive.

L’Analyse transactionnelle
Cette approche analyse le fonctionnement d’un individu à partir de l’interaction de trois sphères : la zone du parent, la zone de l’adulte et celle de l’enfant. Harris décrit ainsi chacune de ces trois parties. Le parent représente les règles, les lois, les principes, les normes et les obligations qu’a intégrés une personne. La partie parent s’exprime souvent par des phrases qui commencent par « il faut; tu devrais; ce n’est pas permis de… ». Le parent établit donc les règles de fonctionnement et il est le détenteur des valeurs intégrées. L’enfant origine de la partie émotive de l’individu et correspond aux sentiments qu’il éprouve et aux demandes exprimant ses besoins. Les phrases de la partie enfant commencent souvent par : « je me sens; je vis une certaine émotion; je veux, je désire; j’ai vécu un événement…. ». L’adulte représente la partie neutre qui analyse les besoins de l’enfant et les règles du parent, et qui tranche entre les deux. Il prend une décision en considérant ce qui est le plus valable et le plus pertinent dans une situation donnée. L’adulte joue, en quelque sorte, le rôle de l’avocat. Il est un arbitre.

En reprenant ces principes de base, l’analyse de la relation de violence peut se faire ainsi : L’agresseur joue le rôle du parent, il détermine les règles, les normes et donne les punitions. La victime joue le rôle de l’enfant. Elle doit être en position de dépendance vis-à-vis du parent; elle doit répondre aux exigences de celui-ci, assurer son soutien affectif et être à l’écoute de ses besoins. Elle doit même soulager les tensions émotives du parent. La victime se définit à partir des règles de l’agresseur et dépend de lui pour établir ses comportements. Ces deux fonctions fusionnent la victime et l’agresseur. La partie adulte n’est pas représentée dans la relation de violence. En effet, il n’y a pas de négociation et la loi de l’agresseur domine. L’existence d’un comportement « adulte » nécessiterait des comportements affirmatifs de la part de l’agresseur et de la victime. Toutefois l’agresseur et la victime n’ont pas un mode de comportement affirmatif.

Une autre analyse nous paraît importante. Dans la société, les femmes doivent aussi occuper la fonction enfant. En effet, douceur, émotivité, fragilité sont des traits qu’elles doivent avoir. Elles font peu l’apprentissage de l’autonomie dans les enseignements qu’elles reçoivent. Elles n’ont pas accès à des comportements affirmatifs. D’autre part, les hommes reçoivent le pouvoir associé à la fonction parent. Ce sont eux qui déterminent les règles sociales et économiques de la société, dominent les femmes et basent leurs réalisations économiques sur l’exploitation de ces dernières. Ils intègrent donc la fonction de parent. Les rapports entre les hommes et les femmes sont donc teintés de ces apprentissages et la relation conjugale risque de reproduire ce modèle : dominant-dominée.

Ces apprentissages réduisent l’habilité des hommes à exprimer leurs émotions. De leur côté, les femmes apprennent peu à imposer leurs valeurs et leurs lois. Le manque de fonctionnement affirmatif (l’adulte) maintient l’absence de la zone de négociation. La zone parent de la victime reprend les règles, lois et normes de l’agresseur. Son parent est donc le reflet du parent de l’agresseur.

En partant de ce cadre d’analyse, vous expliquez à la cliente les notions de base du « P-A-E » (Parent-Enfant-Adulte). À partir de ces concepts, elle dessine l’espace correspondant à chacune de ses parties. De façon générale, les femmes battues dessinent une partie parent qui occupe une place majeure. La zone enfant se fait petite et l’adulte est peu représentée. Cette description illustre l’obligation qu’elles se donnent de jouer les rôles de mère et d’épouse. Leur partie parent gère les normes avec lesquelles elles doivent composer pour assurer leur sécurité. Leur partie enfant est sous-représentée. Pour survivre, elles censurent leurs besoins, ne s’occupant que de ceux de l’agresseur, et contrôlent leurs émotions pour éviter de subir de nouvelles agressions. Leur partie adulte ne fixe pas les limites nécessaires au maintien de son espace personnel; elle n’évalue pas le prix de la violence et n’affirme pas ses propres règles.

Après le dessin « P-A-E », vous demandez à la cliente de nommer les lois de son parent et d’identifier celles qui reprennent les normes de l’agresseur : tu dois t’occuper des enfants et demeurer à la maison, tu dois répondre aux besoins sexuels de ton partenaire, tu ne dois pas travailler à l’extérieur du foyer, etc. Elle peut alors découvrir que les règles qu’elle s’est fixées sont bien souvent celles de son agresseur. Elles les a faites siennes pour assurer sa protection et ne discerne plus celles qui assureraient l’épanouissement de son enfant.

À partir de ce constat, vous partagez avec la cliente l’analyse de sa position de victime ne lui montrant clairement que l’agresseur lui a inculqué ses propres critères. Il la victimise par ce procédé. En effet, la sphère enfant de la femme battue réagit non pas à ce qu’elle désire dans sa propre vie, mais à ce que l’agresseur lui impose comme règle de fonctionnement. Elle est dépourvue de son autonomie, de son droit d’exprimer ses besoins et de ressentir ses émotions. Son enfant étouffe.

Cette démarche permet à la cliente de reconnaître son rôle de victime et de réaliser la précarité de sa position. Pour modifier cela, elle aura besoin de développer sa partie adulte – par l’entraînement à l’affirmation de soi – et de reconnaître les normes de son agresseur qu’elle a fait siennes. Se voir victime amène la femme battue à prendre conscience de ses comportements de retrait et de sa perte d’estime en elle et en lui. Cela assure une base de réflexion pour modifier la situation.

Après cette période d’échange sur son état de victime, vous favoriserez des discussions pouvant conscientiser la femme battue. Vous mettrez en parallèle les stéréotypes féminins et le rôle de victime. Il est facile, en tant que femme, de s’oublier, de répondre aux rôles féminins, d’abandonner ainsi ses besoins personnels et son droit à la sécurité psychologique et physique

dimanche 4 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 41e partie

Se voir comme victime

Il est essentiel que la cliente se reconnaisse comme une victime pour être en mesure de rebâtir son estime de soi. Parce que, tant qu’elle ne verra pas l’engrenage où elle se trouve, elle intégrera les paroles dénigrantes et la perception dévalorisante de l’agresseur à son égard.

Il faut un certain temps à un bon nombre de femmes battues pour se voir comme victime de violence. Elles décrivent des situations conflictuelles dans le couple sans évaluer les comportements violents de leur conjoint, les scènes de brutalité n’étant pour elles que les symptômes d’une relation conjugale problématique. Lorsque vous leur demandez si leur partenaire est violent, elles répondent par la négative. Mais elles relatent des situations où leur conjoint les pousse contre le mur, les bouscule et leur serre les bras. Parfois elles mentionnent avoir été giflées. Évidemment, lorsqu’elles reprennent les termes mêmes de leur partenaire, vous y retrouvez des expressions de dénigrement, de mépris et de menace. Cependant, la cliente n’identifie pas le climat conjugal comme étant violent. Ce regard sur la relation de couple ne signifie pas que la cliente soit masochiste, il révèle plutôt la tolérance des femmes, leur intégration de la norme de domination dans le couple, et illustre la règle de violence conjugale, implicitement acceptée dans la société.

Il ne faut pas oublier que la violence entre conjoints a longtemps été considérée comme normale, le viol y était même toléré. Le lien du mariage conférait à l’homme le droit de propriété sur sa partenaire et sur ses enfants. Les mentalités portent encore un relent de ces droits attribués aux hommes. La refonte du Code civil québécois ne date que de 1983. Pour bien des hommes, le mariage est encore un silence qui leur accorde autorité et pouvoir sur leur conjointe. Entre les châtiments corporels et le droit de domination, il n’y a qu’un pas.

Pour la femme violentée, l’identification de la violence se fait souvent par l’intermédiaire d’un tiers – amis, voisins, intervenantes. Se voir comme une victime modifie l’évaluation que se fait la cliente d’elle-même. La perte d’estime de soi n’est pas uniquement due à son appréciation personnelle, elle découle du contexte de violence. Pour augmenter son estime de soi, la victime a besoin de relier sa perte de confiance en soi à la réalité de la violence. Regardons maintenant quelques techniques qui peuvent aider la cliente à reconnaître sa position de victime.

vendredi 2 septembre 2011

VIOLENCE FAMILIALE 40e partie



La restauration de l’estime de soi

L’estime de soi, c'est-à-dire, l’appréciation personnelle de sa propre valeur et compétence diminue suite à un vécu de violence. La femme battue développe la certitude qu’elle ne peut être aimée pour elle-même et qu’elle ne possède pas les capacités nécessaires pour rompre sa relation avec l’agresseur. Tant qu’elle se verra comme cette personne sans valeur, elle se trouvera piégée dans la violence et maintiendra son comportement de retrait et de passivité, par crainte de perdre le peu qu’elle a, couple et famille. Il lui faudra, pour réagir aux agressions, un certain degré d’estime d’elle-même car, tant qu’elle ne s’accordera pas de valeur, elle ne pourra prendre aucune décision qui place son confort avant celui de l’oppresseur. C’est pourquoi une démarche de restauration de l’estime de soi doit toujours accompagner les différentes formes d’aide qu’elle reçoit : économique, juridique et sociale. Cette démarche représente même sur des premiers objectifs de l’intervention auprès de la femme battue. Toutefois il ne peut s’actualiser de façon isolée. En effet, différents facteurs cités plus haut contribuent au développement de l’estime de soi. Ainsi pour parvenir à rompre la violence et lutter contre ses effets dévastateurs, la femme battue doit réapprendre à s’aimer, à se faire confiance, et à croire en ses capacités personnelles. Toutefois, ce processus va à « contre-courant » des valeurs enseignées aux femmes et qui sont : l’oubli de soi, le rôle de support de la femme, l’interdiction de l’affirmation de soi etc. De plus, la redécouverte, par la femme, de sa valeur personnelle déjoue les tactiques dénigrantes de l’agresseur qui minent l’estime de soi de sa victime. Il invalide ses émotions, dévalorise ses réalisations ou ses comportements, la ridiculise en privé ou en public, l’intimide etc.

La reconstruction de l’estime de soi et, dans certains cas, l’instauration, représente une étape fondamentale dans la lutte contre la victimisation. Au cours de cette démarche, la cliente partira à la découverte d’elle-même et cessera peu à peu de se voir avec les yeux des autres (agresseur, famille immédiate). Elle tentera, progressivement de ne plus se définir à partir des évaluations de mépris de l’agresseur, de reprendre pouvoir sur sa vie. Évidemment, ce cheminement ne peut s’accomplir rapidement, mais il est essentiel qu’il s’amorce tôt dans la démarche entreprise avec la femme violentée. La moindre augmentation de l’estime de soi représente un pas vers la mobilisation contre sa position de victime. D’ailleurs, au début et à la fin d’un suivi auprès des femmes battues, il est intéressant d’utiliser le test d’estime de soi de Janis Field qui a été traduit par Forest. Il donne des informations pertinentes et suscite certaines réflexions qui peuvent permettre d’aborder directement l’image que la victime se fait d’elle-même.

À titre indicatif, regardons les résultats de ce test, qui fut administré à 55 femmes battues s’étant présentées au Centre de services sociaux du Montréal métropolitain. La moyenne obtenue fut de 33,6 l’écart-type étant de 13,3, alors que le même test administré à des étudiantes québécoises donne une moyenne de groupe de 41,6 avec un écart-type de 11,35. D’autre part, des femmes chefs de famille obtiennent une moyenne de 48,6. Bien que les groupes soient différents, cet écart démontre l’évidence d’une perte d’estime de soi chez les femmes battues. Après une démarche de groupe, les femmes améliorent leurs résultats à ce test et leur côte, mesurant l’estime de soi, se rapproche alors davantage de celle des deux autres groupes. Il y a donc une perte importante de l’estime de soi reliée au vécu de violence.

La restauration de l’estime de soi débute immédiatement après « l’entrevue de situation de crise », ou après celle suivant l’entrevue de dépistage. Bien que la notion d’estime de soi demeure toujours présente dans un processus d’aide auprès des victimes de violence conjugale, elle est prioritaire lors de l’intervention de court terme. En se redonnant une valeur comme individu, la femme battue aura plus de chance de réagir à la prochaine agression de son partenaire. Elle sera en mesure d’agir en considérant qu’elle ne mérite pas d’être traitée de cette façon. Il lui faut un certain degré de considération pour elle-même pour se mobiliser, ne plus intégrer les explications culpabilisantes de l’agresseur et accepter de se « prioriser » lors des agressions. De façon complémentaire, une aide concrète lui apportera les appuis nécessaires pour rompre avec sa position de victime.

Réapprendre à s’estimer ne se fait pas de façon parcellaire. Cela va de pair avec l’utilisation de ressources, humaines et matérielles, de soutien et est relié à l’affirmation de soi. Toutefois, pour mieux saisir l’importance d’une intervention directe pour stimuler l’augmentation de l’estime de soi chez la cliente cette notion sera traitée de façon distincte dans ce chapitre.

Cinq points à travailler, avec des techniques s’y rapportant, ainsi que des exercices et des tâches pour soutenir cette démarche, seront décrits dans les paragraphes suivants. L’importance pour la cliente, de reconnaître sa position de victime sera abordée et les émotions deviendront un élément essentiel à travailler. Par la suite, nous verrons comment aider la cliente pour qu’elle s’octroie une valeur personnelle et un droit à l’individualité. Finalement, l’identification de ses besoins fera partie intégrante de la démarche de restauration de l’estime de soi.