mercredi 31 mars 2010

JOUEURS PATHOLOGIQUES - 8e partie

Le témoignage essentiel qui ressort de nos rencontres est qu’une des motivations principales qui amène le joueur en thérapie est l’épuisement, l’impression d’être acculé « au pied du mur » ou comme « dernière porte de sortie ». Plusieurs se sentent impuissants devant leur pulsion et ne voient aucune façon de changer les choses. Pour d’autres, c’est la peur de tout perdre qui sert d’élément déclencheur à la démarche d’aide ou le fait d’encaisser des pertes financières substantielles et répétées.

Les besoins ressentis par les joueurs

Bien que tous ces motifs puissent conduire à entreprendre une démarche pour régler un problème de jeu, il n’en demeure pas moins que chacune de ces raisons répond à des besoins particuliers, dépendamment des motivations, du vécu et des différentes conséquences occasionnées par les habitudes ludiques.

Quels sont donc les besoins ressentis par les personnes qui décident de faire une thérapie pour le jeu ? Quels problèmes veulent-ils régler à l’aide de cette thérapie ? Quelle utilité aura concrètement cette démarche pour eux ? D’emblée, l’instinct de survie est un argument mentionné de façon récurrente par les joueurs. En effet, plusieurs parlent de « sauver sa peau », d’arrêter « d’avoir de la misère », de reprendre une « vie normale », de trouver un nouveau mode de vie ou un sens à sa vie, de retrouver sa dignité ou son estime de soi. D’autres signalent plutôt le besoin d’apprendre à se contrôler, à ralentir, à diminuer l’envie de jouer ou à jouer « normalement » pour régler leur problème et cesser de s’endetter. On mentionne aussi le désir de trouver des trucs pour arrêter de jouer ou celui tout aussi fondamental de comprendre pourquoi on joue, de trouver les raisons qui nous font jouer ou la source du problème. De plus, quelques personnes soulignent le besoin de comprendre les pièges du jeu, les « dessous » des jeux de hasard et d’argent.



* à suivre *

mardi 30 mars 2010

JOUEURS PATHOLOGIQUES - 7e partie

Les motivations des joueurs

Dépendamment des raisons principales pour lesquelles le joueur consulte, le degré de motivation varie notablement, d’une personne à une autre. En effet, certaines personnes ont exprimé avoir eu peur de l’inconnu, s’être senties mal à l’aise, avoir appréhendé de devoir raconter leur vie à des inconnus ou encore auraient préféré s’en sortir seules ou trouver une solution moins laborieuse.

D’autres n’y croyaient pas trop et avouent avoir commencé les démarches pour plaire aux autres ou pour avoir bonne conscience. Sinon, ils voulaient oublier la culpabilité ressentie devant les pertes importantes de la dernière séance de jeu ou encore, craignaient de devoir arrêter complètement de jouer, ce qui avait pour conséquence de diminuer leur motivation. Par contre, certains affirment avoir remis leur vie entre les mains de l’intervenant et s’être présentés en thérapie en toute bonne foi et avoir considéré cette démarche comme la solution ultime à leurs problèmes. Mais comme plusieurs l’ont sagement indiqué, le secret d’une thérapie qui fonctionne c’est de la faire pour les bonnes raisons, c’est-à-dire, pour soi.

Différentes motivations poussent donc les joueurs à demander de l’aide et à prendre la décision de consulter. Certaines viennent de l’extérieur et d’autres sont personnelles. Connaître les raisons qui motivent le joueur à commencer une thérapie peut aider à orienter les services offerts afin d’obtenir des résultats satisfaisants pour tous les acteurs impliqués dans le parcours du traitement. Nous présentons dans le tableau suivant les m motivations intrinsèques et extrinsèques qui incitent les usagers à commencer une thérapie.

Tableau 1
Motivations qui incitent les usagers à commencer une thérapie

MOTIVATIONS
INTRINSÈQUES
Les idées suicidaires
Le désespoir, la souffrance ;
La honte, le manque d’estime de soi ;
Le besoin de retrouver l’estime de soi ;
Les problèmes de santé physique et mentale ;
L’identification négative aux autres joueurs ;
Le changement des valeurs ;
La peur de tout perdre.

MOTIVATIONS
EXTRINSÈQUES

Des problèmes financiers ;
Des pressions des proches ;
Une perte d’argent importante lors de la dernière séance de jeu ;
Des problèmes avec l’employeur ;
Des problèmes judiciaires ;
Une tentative de suicide ayant conduit à l’hôpital ;
L’obligation de payer des biens à soi-même ou à sa famille.



* à suivre *

lundi 29 mars 2010

JOUEURS PATHOLOGIQUES - 6e partie

Les problèmes éprouvés par les joueurs

Que ce soit le désespoir, les menaces ou une faillite personnelle, bon nombre de situations malheureuses voire funestes sont vécues par le joueur et l’amènent à désirer ou à être dans l’obligation de suivre une thérapie pour s’en sortir.

Des problèmes personnels, tant sur le plan de la santé mentale que physique, poussent souvent le joueur vers des démarches d’aide avec des professionnels ; la dépression, l’angoisse, le découragement, la culpabilité, la solitude. Plusieurs se sentent démotivés, dévalorisés, déprimés et manquent d’énergie. Certains signalent aussi le changement de caractère, l’intolérance, l’irritation, l’agressivité et la mauvaise humeur dont ils font maintenant trop souvent preuve. Ils constatent un cheminement qui va à l’encontre de leurs valeurs ; ils sont devenus menteurs, manipulateurs. Certains avouent être souvent obsédés par le jeu. Ils parlent aussi de l’abandon de leurs rêves, de leurs projets, de l’absence d’une qualité de vie. Plusieurs font aussi état d’angoisse, de crises de panique, d’idées suicidaires ou de tentatives de suicide.

En ce qui a trait aux relations familiales ou avec l’entourage, diverses situations problématiques découlent du vécu de joueur. Comme on peut s’y attendre, le fait de passer beaucoup de temps – ou d’argent – à la pratique de cette activité, peut facilement occasionner des complications dans le noyau familial. Plusieurs font mention de problèmes de couple, d’absence de communication, de manque de confiance, de remontrances, de querelles, de situations de crise et même de violence ainsi que, dans plusieurs cas, de séparation on d’expulsion de la maison. Ils signalent aussi la peine imposée à la famille ou le manque de temps à leur accorder, la rupture des liens familiaux et le défaut de remplir ses obligations. Les relations avec l’entourage, les amis et les collègues subissent aussi des effets des habitudes de jeu de la personne. L’isolement dans lequel le joueur se place entraîne tranquillement la détérioration de ses relations, la perte de contact et se transforme souvent en absence de vie sociale et amoureuse. Le caractère changeant du joueur et ses problèmes financiers (emprunt, vol, etc.) provoquent fréquemment des malaises ou la dégradation des relations d’où découle une perte de confiance de l’entourage.

Tel que mentionné, nombreux sont les tracas et pénibles les inquiétudes relatés par les joueurs concernant leur situation financière. L’utilisation pour le jeu de l’argent prévu à d’autres fins conduit inévitablement à l’incapacité de remplir ses engagements mensuels. D’autres avouent même avoir fraudé leur établissement bancaire, commis des vols, falsifié des documents, détourné des fonds pour pouvoir payer des dettes urgentes ou tenter de « se refaire ». En résultent plusieurs conséquences telles que perte de sa résidence, de ses biens, de ses épargnes de retraite, faillite personnelle ainsi que des problèmes légaux.

Concernant la vie professionnelle, plusieurs rapportent avoir vécu des situations difficiles ou embarrassantes à cause de leur mauvaise habitude. La fatigue excessive au travail, le manque d’attention, de concentration, de performance, de productivité et de motivation est chose courante pour eux. L’épuisement professionnel (burn-out) ou la nécessité de cumuler plusieurs emplois en même temps font partie des conséquences mentionnées. De plus, l’emprunt d’argent ou les mensonges à l’employeur, la demande d’avance sur sa paie, les fausses déclarations de maladie, les retards répétés ou les vols ont entraîné, pour certains, des complications et même des cessations d’emploi.

Les problèmes vécus par les joueurs sont autant de raisons qui peuvent influencer leur décision de vouloir changer de vie, aspirer à autre chose ou sortir d’une position fâcheuse. Même s’il peut être difficile pour un joueur d’accepter qu’il éprouve un problème dont il ne peut se sortir seul et de choisir d’entreprendre des démarches pour suivre une thérapie, la décision finale lui revient. Les résultats obtenus seront souvent garants de l’implication et de la confiance du joueur en ces démarches.


* à suivre *

samedi 27 mars 2010

JOUEURS PATHOLOGIQUES - 5e partie

LE CHEMINEMENT DES USAGERS

Mieux connaître les raisons qui amènent le joueur en traitement peut aider à orienter les interventions offertes aux usagers de même que les stratégies de recrutement des futurs clients et réussir ainsi à rencontrer les joueurs avant que les problèmes ne s’aggravent et que les conséquences néfastes ne se multiplient.

L’objectif principal de traitement des joueurs pathologiques proposé aux intervenants par le CQEPTJ (Ladouceur et autres, 2000), dans le cadre du programme expérimental, est de modifier les habitudes de jeu des joueurs. Est-ce l’objectif souhaité et voulu par les joueurs qui sollicitent des traitements ? Les résultats de notre recherche démontrent que plusieurs d’entre eux ont comme premier souci de retrouver la sérénité ou d’être mieux dans leur vie, d’autres désirent comprendre pourquoi ils jouent alors que d’autres encore désirent simplement parvenir à jouer « normalement ».

Les problèmes éprouvés, les besoins et les attentes des personnes qui décident de chercher de l’aide pour se sortir de cette malencontreuse situation sont de bons indices des éléments déclencheurs de la démarche d’aide et des raisons qui motivent à vouloir changer ses habitudes de jeu.


* à suivre *

vendredi 26 mars 2010

JOUEURS PATHOLOGIQUES - 4e partie

MÉTHODOLOGIE

Les données utilisées proviennent d’entrevues semi-structurées réalisées dans le cadre de l’évaluation du programme expérimental sur le jeu pathologique (Chevalier et autres) servent à mieux comprendre pourquoi les joueurs pathologiques demandent de l’aide.

Dans un contexte où les besoins des joueurs pathologiques sollicitant des services peuvent varier notablement, où ces besoins peuvent évoluer rapidement et où les services offerts aux joueurs diffèrent d’une région et d’une ressource à l’autre et, de manière plus importante encore, parce que nous ne possédons que peu d’informations sur les attentes et les besoins des joueurs, la recherche proposée revêt un caractère exploratoire et les méthodes par entrevue ont semblé les plus appropriées.

Pour recueillir les données, nous avons mené une trentaine d’entrevues individuelles et de groupe auprès d’une soixantaine de personnes ayant reçu des services d’aide pour le jeu dans 23 organismes provenant de quatre sites pilotes à travers le Québec.

Les personnes ayant complété le traitement ont été interrogées individuellement ou en groupe. Les entrevues individuelles ont permis d’explorer et d’examiner en profondeur les thèmes propres au parcours des usagers de services, alors que les entrevues du groupe (focus group) ont favorisé la formation de groupes d’usagers plus homogènes. La sélection des groupes a été opérée selon des critères généraux d’abord et des éléments spécifiques de contenu ensuite. Tous les groupes choisis représentent des minorités, à l’échelle du Québec, parmi l’ensemble des personnes ayant sollicité ou complété un traitement. Les personnes ayant abandonné le traitement ont toutes été rencontrées individuellement.

Les personnes ayant complété le traitement depuis un laps de temps allant de trois semaines à dix-huit mois étaient recrutées par le biais des intervenants dans les centres de traitement qui participent au programme expérimental. Les critères de sélection permettant la formation des différentes entrevues de groupe ont été précisés par l’équipe de recherche à la personne responsable dans les centres de traitement, pour l’orienter dans sa recherche de participants. Les personnes intéressées à participer (ou, selon les régions, un sous-ensemble d’entre elles) étaient alors contactées par un membre de l’équipe de recherche et réparties entre les entrevues individuelles ou les différentes entrevues de groupe, selon leurs caractéristiques propres. Les participants ont été informés du caractère confidentiel de la recherche et les chercheurs leur ont expliqué les objectifs de la recherche et les retombées attendues. Ils ont de plus indiqué aux usagers qu’ils pourraient être informés des résultats de la recherche à la fin du mandat.

Le choix des thèmes de notre schéma d’entrevue a été inspiré par la littérature s’intéressant aux joueurs en traitement et a été construit de manière à permettre à chaque personne interrogée de s’exprimer librement sur son expérience et les différentes étapes de sa démarche.

Comme nous l’avons précisé dans le modèle conceptuel (Donabedian, 1973), l’usager évalue son état de santé à partir de ce qu’il ressent et des informations qu’il retire de l’environnement. Il est donc le mieux placé pour faire part de son évaluation de la situation. L’analyse des données a donc porté sur le point de vue des usagers sur cette expérience.

Les données ont d’abord été codées manuellement selon des techniques d’analyse de contenu thématique (Bardin, 1993 ;Stewart et Shamdasani, 1990). Le nombre effectif d’entrevues a été suffisant pour atteindre la saturation informationnelle.


* à suivre *

jeudi 25 mars 2010

JOUEURS PATHOLOGIQUES - 3e partie

MODÈLE CONCEPTUEL

Le modèle que nous utilisons ici est largement tributaire des travaux classiques de Donabedian (1973). Une personne évalue son état de santé à partir de ce qu’elle ressent et des informations qu’elle retire de l’environnement. Elle définit le problème selon ses propres termes et conclut d’elle-même à la présence d’un problème suffisamment important pour nécessiter une intervention externe professionnelle. La rencontre entre la personne qui a un problème et une ressource qui sera à même, ou non, de répondre à ses demandes, aura lieu dans la mesure où la ressource est accessible. Si la rencontre a lieu, une évaluation des besoins sera alors produite selon les paramètres retenus dans la ressource ; les deux évaluations de besoins seront réconciliées. C’est sur la base des besoins négociés que de services seront alloués et que les résultats seront obtenus.

Seule la personne qui reçoit les services peut fournir des renseignements sur sa propre évaluation des besoins. En plus, cette personne peut offrir une perspective d’importance, qui souvent se distingue de celle du clinicien, sur le processus de négociation des besoins, sur l’adéquation des services et sur les résultats obtenus.


* à suivre *

mercredi 24 mars 2010

JOUEURS PATHOLOGIQUES - 2e partie

Problématique

Par ailleurs, les motivations à demander de l’aide pour un problème, n’importe lequel, contribuent à définir les attentes eu égard au traitement. Les attentes développées par les joueurs requérant des services sont conditionnées par les démarches et les services antérieurs reçus soit pour des problèmes connexes, soit pour des problèmes de jeu (Poirier, 2001 ; Cromer, 1978). À partir des entrevues en profondeur que Poirier (2001) a menées, elle regroupe les attentes de joueurs en quête de traitement en trois catégories : 1) les attentes cognitives – le joueur veut comprendre pourquoi il joue ; 2) les attentes affectives – le joueur espère recevoir de la compréhension et de l’affection ; et 3) les attentes de types comportementales – le joueur veut cesser de jouer. Les résultats d’Orford et McCartney (1990) suggèrent que les joueurs pathologiques en traitement s’attendent tout particulièrement à améliorer leurs relations personnelles ainsi que leur situation financière. Le joueur peut aussi s’attendre, le cas échéant, à une amélioration de ses relations conjugales, notamment sur le plan sexuel et plus généralement sur le plan de l’intimité (Steinberg, 1993). Les attentes irréalistes au chapitre du résultat du traitement peuvent avoir une incidence négative sur, précisément, ce résultat et pourraient être un indicateur des connaissances du joueur à propos du jeu pathologique. Telle pourrait être notre perspective en extrapolant les résultats obtenus par Mancuso et ses collègues (2001 ; voir aussi les travaux de Meyer et autres, 2002) dans un tout autre domaine de traitement : « Having unrealistic expectations may predispose to worse outcomes by causing patients to become quickly discouraged with results of treatment, or in turn may be a marker for other risks, such as lack of knowledge about asthma » (p. 1054).


* à suivre *

mardi 23 mars 2010

JOUEURS PATHOLOGIQUES - 1e partie

On Sait déjà que les jeux de hasard et d’argent, lorsqu’ils sont pratiqués de façon abusive, peuvent avoir des conséquences dramatiques dans la vie des joueurs et dans celle de leur entourage. Des habitudes de jeu délétères ou la perte de contrôle durant cette activité entraînent de nombreux problèmes sur les plans personnel, relationnel, financier ou professionnel. Quelles sont donc les raisons qui motivent enfin le joueur à entreprendre des démarches pour s’en sortir? Qu’est-ce qui peut le décider – et le motiver – à reconnaître ses limites, à accepter qu’il a un problème de jeu et à demander de l’aide pour changer l’état des choses?

Pour répondre à ces questions, nous verrons dans un premier temps avec les chercheurs tels que Catherine Geoffrion, Serge Chevalier (sociologue), Elisabeth Papineau (Anthropologue), le contexte dans lequel évoluent les joueurs qui décident d’entreprendre un traitement pour le jeu ainsi que le modèle conceptuel et la méthodologie utilisés dans la présente recherche. Il sera ensuite question du cheminement des usagers avant la thérapie et des raisons qui les ont motivés à entreprendre celle-ci. Puis, une discussion et des pistes de réflexion touchant le cheminement des joueurs seront dégagées.

Problématique

Les recherches dans le domaine ont montré que les joueurs pathologiques qui font une démarche pour obtenir des services le font pour une quantité de motifs. Poirier(2001, voir aussi Poirier et Lindsay, 2001) a classé les motifs de demandes d’aide de la clientèle masculine du Centre CASA – un centre de réadaptation privé qui fournit des traitements tant internes qu’externes aux joueurs pathologiques – qui a suivi des traitements externes selon deux catégories : les motifs intrinsèques, qui incluent la détresse psychologique insoutenable et les idées suicidaires, et les motifs extrinsèques, où il est plus question des craintes de perdre son emploi, sa relation conjugale ou de compromettre irrémédiablement les relations avec ses enfants. D’autres études identifient des aspects quelque peu différents. Cromer (1978), dans une étude où il a passé six mois à observer un groupe Gamblers anonymes (GA) en Israël, identifie les motifs suivants : de sérieux problèmes d’argent; les personnes sentent qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec leur vie; ils sentent que le temps leur glisse entre les mains et, à l’instar des résultats de Poirier, ils ressentent des effets adverses sur les aspects conjugaux, familiaux et les autres relations significatives. Cromer conclut que, selon la perspective des joueurs l’argent peut être remplacé, mais pas le temps ni les relations affectives. Brown (1986) a étudié un groupe de GA à Glasgow. Il regroupe les motifs d’une première visite ou présence à une réunion GA selon trois rubriques : 1) des raisons subjectives relatives aux émotions et aux attitudes du joueur envers lui-même (désespoir, sentiment d’inadéquation, besoin d’aide, le dégoût de soi-même); 2) des raisons relatives à des problèmes extérieurs (par exemple, des problèmes financiers ou domestiques); 3) des raisons relatives à la prise de conscience que le problème de jeu affecte négativement les autres. De fait, cette nomenclature n’est pas sans rappeler celle de Poirier qui identifiait des motifs intrinsèques (correspondant à la première catégorie de Brown) et des motifs extrinsèques (les deux dernières catégories). Selon Orford et McCartney (1990) dans leur étude à Exeter, les principales raisons évoquées pour aller en traitement sont la crainte du futur et les problèmes financiers. Tout récemment, Hodgins et ses collaborateurs (2002; voir aussi Hodgins et el-Guebaly, 2000) ont eux aussi quantifié les motifs qui ont poussé des joueurs pathologiques à une première consultation. L’échantillon utilisé se subdivisait en deux groupes : les joueurs pathologiques qui ont suivi un traitement récent (durant la dernière année) et les joueurs pathologiques dont le traitement est moins récent. Les joueurs pouvaient identifier autant de motifs de recours au traitement qu’applicables à leur situation. Les deux principaux motifs évoqués sont les problèmes financiers et les facteurs émotionnels; deux autres facteurs sont aussi identifiés fréquemment par les deux sous-groupes, soit avoir atteint le bas-fond et désirer le maintien des relations familiales. Les auteurs concluent que « the most frequently cited reasons were all internal and included negative emotions, financial concerns, family influence, and acting in a fashion that was incompatible with their self-image ». (p.216).

En résumé, malgré les finalités et les approches différentes ainsi que les limites méthodologiques des différentes études consultées, il ressort distinctement que les joueurs vont principalement faire appel aux services de traitement pour le jeu à cause de motivations intrinsèques, au nombre desquelles on retrouve la préservation de relations émotionnelles significatives ainsi que l’atténuation ou la disparition de conditions émotives et psychologiques insoutenables : détresse psychologique (désespoir, dégoût de soi-même, atteinte du bas-fond, etc.), dépression, anxiété, idées suicidaires et autres. Poirier (2001) considère la situation financière en tant que motif extrinsèque alors que Hodgins et ses collaborateurs (2002) la considèrent comme intrinsèque ; quoiqu’il en soit, la situation financière extrêmement détériorée s’avère probablement la motivation la plus prégnante dans la littérature. Arrêter de jouer dans la littérature. Arrêter de jouer semble subsidiaire pour le joueur qui recherche un traitement.


* à suivre *

lundi 22 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 9e partie

Indications et contre-indications d’une psychothérapie

Il est exceptionnel qu’un enfant ou un adolescent fasse de lui-même la demande d’une psychothérapie. Cette démarche lui est souvent proposée par ses parents ou un professionnel du réseau d’aide à la jeunesse. En proposant au jeune une thérapie, il est important de l’informer que cette démarche va impliquer de sa part une collaboration très active ainsi qu’un engagement à se confier sur son vécu le plus intime. Il est donc très important qu’après avoir été bien informé, le jeune désire entreprendre une telle démarche.

En cours de thérapie, lorsque des aspects sensibles de la dynamique affective sont touchés (quand la tristesse, la colère ou la culpabilité son abordées), il est normal de voir apparaître temporairement une forte anxiété. Conséquemment, une psychothérapie peut être contre-indiquée chez un jeune qui possède un « pattern » de passage à l’acte inadapté très marqué pour contrer ses tensions et ses malaises.

CONCLUSION

Vivre une perte affective importante dans la solitude et le silence constitue une épreuve déchirante qui risque de laisser des séquelles importantes qui vont handicaper la personne toute sa vie durant. Il est cependant réconfortant de savoir que cette situation n’est pas irrémédiable. Ce n’est cependant qu’au prix de la reconnaissance de la perte et de la douleur qui l’accompagne dans un lieu privilégié de parole, de confiance et d’amour que la personne parviendra à se libérer du fardeau émotionnel qui l’accompagne et transformer cette perte en gain.

dimanche 21 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 8e partie

Des mesures d’aide appropriées aux besoins et aux capacités du jeune.

Lorsqu’il est clairement établi que les difficultés d’un jeune sont consécutives aux séquelles d’un deuil pathologique, une psychothérapie peut être envisagée. Cette aide visera essentiellement à permettre à l’enfant ou à l’adolescent d’assumer sa perte dans un climat de confiance, de chaleur et de soutien tout en l’aidant à se libérer des sentiments douloureux et des émotions négatives qui l’habitent.

Il est très exceptionnel que seule une psychothérapie suffise à réhabiliter un jeune présentant des troubles affectifs qui handicapent son adaptation. Dans la très grande majorité des situations, ce travail devra s’effectuer dans un contexte multidisciplinaire. Il sera essentiel de prévoir une intervention professionnelle visant à équilibrer la dynamique familiale, à guider et à soutenir les parents dans leurs interventions éducatives et l’encadrement de leur enfant ou leur adolescent. Un placement dans une ressource spécialisée peut parfois même être nécessaire pour réussir à contrôler les comportements inadaptés du jeune.

Il faut également tenir compte que, sur le plan pratique, il est fréquent que les facteurs éducatif et social s’associent à la perturbation affective de l’enfant ou de l’adolescent pour engendrer ses troubles de comportement. En pareil cas, les mesures éducatives auront préséance sur la psychothérapie qui pourra être envisagée ultérieurement en cours de traitement, lorsque le jeune aura acquis suffisamment de discipline personnelle, de maîtrise de ses pulsions, lorsqu’il aura intégré un système de valeurs sociales et développé une capacité adéquate d’auto-critique sur ses comportements inadéquats.


* à suivre *

samedi 20 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 7e partie

LES MESURES DE RÉHABILITATION

L’importance d’un bon diagnostic socio-affectif

Travailler à la réhabilitation d’un jeune constitue une tâche complexe qui comporte plusieurs volets, social, familial et scolaire, mais qui réfère toujours à deux dimensions essentielles de son développement : son éducation et son affectivité.

Certains jeunes éprouvent des difficultés de comportement principalement attribuables à un déficit dans l’éducation qu’ils ont reçue. On parle alors de mauvais exemple, d’un encadrement trop permissif, d’un manque de constance dans l’application des règles et des sanctions disciplinaires de la part de leurs parents. Ces jeunes ont principalement besoin d’acquérir des habitudes de vie quotidienne saines, de la discipline personnelle, des valeurs sociales plus adéquates. Le travail auprès d’eux s’effectuera donc davantage sur le plan rééducatif.

Chez d’autres jeunes, les difficultés d’adaptation trouvent davantage leurs causes dans des traumatismes affectifs vécus au cours de leur enfance. Ce sont parfois des jeunes qui ont été grandement insécurisés par l’inconstance ou la négligence de leurs parents. D’autres ont été victimes de violence familiale. Les abus physiques et sexuels provoquent également des dommages affectifs importants qui se répercutent dans les comportements de ces jeunes. Une blessure affective engendrée par une perte vécue dans des conditions difficiles peut également constituer un facteur important de mésadaptation.

Avant d’entreprendre un travail de réadaptation auprès d’un jeune qui présente des troubles de comportement, il est très important de déterminer le plus précisément possible les causes de sa mésadaptation. Dans cette optique, une évaluation complète du jeune et de son contexte de vie s’avère essentielle.

En effectuant cette évaluation, il sera très important de questionner le jeune ainsi que son entourage familial afin d’examiner la possibilité de perte(s) importante(s) chez celui-ci ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles elles ont été vécues. Le cas échéant, une évaluation psychologique, à l’aide d’épreuves projectives, permettra de déceler la présence d’émotions et de sentiments négatifs, souvent inconscients, impliqués dans la dynamique affective du jeune et qui perturbent son comportement et son adaptation.


* à suivre *

vendredi 19 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 6e partie

Des émotions destructrices

Dans le but de se protéger contre sa souffrance, ne pouvant exprimer et partager ses émotions pénibles, le jeune va alors tenter de les dénier en développant des mécanismes de défense dont les principaux sont bien souvent la répression et le refoulement. Il va tenter comme il le peut de se protéger contre sa souffrance en s’insensibilisant émotivement.

Cette situation a pour conséquence d’empêcher le déroulement du processus de deuil. Souvent même, la colère et la révolte s’intensifieront en raison du fait que l’insécurité persiste.

Certes, avec le temps, l’enfant en vient à atténuer sa souffrance mais ses émotions négatives demeurent, cachées à l’intérieur de lui. Elles commencent alors leur ravage sournois et insidieux sur son comportement et son adaptation.

Sa tristesse réprimée sape sa motivation à l’effort scolaire et l’amène à s’enliser dans le fatalisme et dans une situation d’échec de plus en plus irrémédiable. Son angoisse affecte ses capacités d’attention et de concentration. Sa colère lui fait développer des comportements agressifs et anti-sociaux. Sa révolte et son amertume le conduisent à se méfier de l’adulte et à défier son autorité. La plus grave et la plus insidieuse de ces émotions est sans doute la culpabilité qui le pousse inconsciemment et involontairement à se punir de multiples façons (mutilation, suicide à petit feu par la drogue, échecs dans ses entreprises qui concourent dans un cercle vicieux à alimenter son fatalisme et son désespoir). Le jeune en vient à développer une image très négative de lui-même, à se dévaloriser et à se mésestimer intensément.

Il en vient alors à refuser l’affection à laquelle il croit inconsciemment ne plus avoir droit. Il devient alors de plus en plus difficile à rejoindre affectivement, la barrière de ses défenses étant de plus en plus étanche.

Ses comportements inadaptés devenant de plus en plus fréquents et sévères, les adultes intensifient auprès de lui leurs mesures de contrôle et de discipline. Classifiant ce dernier de marginal, ils amplifient son sentiment de solitude et de révolte.

C’est parfois auprès d’autres jeunes marginaux qu’il satisfera ses besoins d’affection et de valorisation ainsi qu’un certain plaisir de vivre. C’est aussi par leur fréquentation qu’il accentuera ses comportements délictuels. On peut alors assister à une escalade des mesures répressives de la part des adultes en autorité qui, à leur tour, provoqueront chez le jeune des réactions inadaptées toujours plus fortes.


* à suivre *

jeudi 18 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 5e partie

Solitude et silence

Pour bien comprendre le deuil pathologique chez l’enfant et l’adolescent, tentons d’abord d’approfondir les conditions dans lesquelles Nathalie, Jacques et François ont vécu leur deuil.

Le père de Nathalie, un homme responsable dans l’éducation de ses enfants mais rigide et autoritaire, lui-même mal à l’aise avec ses émotions, a imposé à ses enfants la loi du silence suite au décès de leur mère. Il a tenté de censurer chez ses enfants toute expression de chagrin et de colère. Nathalie s’est vu imposer des tâches supplémentaires au sein de sa famille, remplaçant pour une bonne part sa mère dans l’accomplissement des tâches domestiques. Elle a également tenté de remplacer sa mère comme présence affective auprès de sa jeune sœur et de sont petit frère. En plus de réprimer l’expression de ses sentiments et de ses émotions, en plus de s’imposer de fortes exigences aux plans physique et affectif dans le remaniement de l’équilibre familial, Nathalie a sérieusement compromis son mouvement en vue de se définir une identité propre, bien à elle, clairement démarquée de celle de sa mère en prenant en quelque sorte sa place au sein de la famille.

Jacques pour sa part est sérieusement délaissé par ses parents aux prises avec des difficultés conjugales importantes. Deux figures paternelles se succèdent et disparaissent complètement de son univers au cours de ses trois premières années de vie. La mère qui éprouve de sérieuses difficultés amoureuses, puis des problèmes de santé très importants, va beaucoup négliger son fils en termes de présence attentive et d’affection. Jacques connaîtra très jeune et de façon très intense l’abandon et la solitude. À ces sentiments pénibles s’ajoutera un profond sentiment d’insécurité généré par l’instabilité des figures parentales auprès de lui. Tout au long de son enfance, Jacques demeurera très seul et tentera de contenir à l’intérieur de lui-même les sentiments et les émotions pénibles qui l’habitent. Au cours de son enfance, il n’aura jamais vraiment l’occasion d’exprimer le profond malaise qu’il ressent. Chacune des pertes qu’il subira sera vécue dans le silence.

Au décès de son épouse, le père de François se lance de façon frénétique dans son travail. Parti tôt le matin, il revient tard en soirée, souvent lorsque son fils est couché. Cette situation va durer plusieurs années. Par crainte d’être de nouveau blessé affectivement, le père de François ne s’engagera plus dans de nouvelles relations affectives. La petite compagnie de consultant en informatique qu’il possède deviendra toute sa vie et occupera tout son temps.


La grand-mère de François est une bonne personne mais triste et très renfermée sur elle-même. Elle devient très mal à l’aise lorsque son petit-fils exprime spontanément du chagrin ou de la révolte. Elle se met alors à pleurer, François apprend à réprimer l’expression de ses émotions et de ses sentiments pour éviter de faire de la peine à sa grand-mère. Au fil des mois, il devient cependant plus irritable et agité. Les quelques tentatives qu’il fera au cours de son enfance pour aborder la mort de sa mère avec son père ou sa grand-mère seront très rapidement découragées par ceux-ci qui changent le sujet de conversation. Les comportements dérangeants de François conduisent son père à adopter de plus en plus à son égard des attitudes de contrôle, de discipline et de réprimande. Malgré tous les efforts de la part du père pour « corriger » son fils, les comportements inadaptés de ce dernier ne font au contraire qu’augmenter pour finalement créer un conflit dramatique entre père et fils.

En approfondissement le processus de deuil chez ces trois jeunes, une constante essentielle ressort clairement. Ces adolescents n’ont pas eu la chance d’exprimer spontanément, dans un climat de confiance, les sentiments et les émotions qui les animaient suite à la perte d’un être aimé.

Il arrive que lors d’une perte importante les enfants affectés ne trouvent pas l’accueil, le réconfort, l’attention et le soutien de leur entourage dont ils ont besoin et se retrouvent seuls pour transiger avec leur chagrin, leur douleur et leur insécurité. Ginette Raimbault écrit :

« Le plus grand dommage pour l’avenir d’un enfant n’est pas la perte d’un parent
mais le fait qu’aucune parole de l’entourage ne soit venue lui permettre de
nommer l’événement, de le métaboliser et de le faire entrer dans son histoire. »


* à suivre *

mercredi 17 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 4e partie

Un grand besoin de soutien de la part de l’entourage

Au cours de cette période de crise, la personne affectée a besoin d’exprimer les émotions pénibles et de confiance. Elle a également besoin de recevoir du soutien et du réconfort dans sa souffrance de la part de son entourage.

Exprimer ses émotions, partager sa douleur, recevoir un soutien chaleureux, sympathique et sécurisant favorisent la diminution de la souffrance, l’apaisement des tensions et de l’angoisse en plus d’aider la personne endeuillée à rompre le sentiment de solitude qui l’habite souvent de façon très intense.

Chez la personne affectée par une perte importante, la culpabilité s’associe souvent à la colère et à la tristesse. On en veut d’abord à la personne décédée de nous avoir quitté puis, on s’en veut de nourrir son égard une telle hostilité. Un accueil inconditionnel et chaleureux de la part de l’entourage de ce sentiment de culpabilité contribue grandement à le dissiper et à restaurer chez la personne endeuillée une image d’elle-même plus positive.

Les enfants, encore très dépendants des adultes pour leurs besoins essentiels en plus de vivre la déchirure de la perte, vivent souvent une très grande insécurité qui décuple leur angoisse. Ils ont alors grandement besoin d’être rassurés sur le fait que le parent qui demeure auprès d’eux saura continuer de répondre à leurs besoins avec affection, constance et compétence. Besoin d’être assurés, en d’autres circonstances, qu’en l’absence de leurs parents, des adultes forts et stables qui les aiment vont continuer de prendre soin d’eux adéquatement.

Deux conditions apparaissent donc essentielles à la résolution saine d’un deuil chez l’enfant. D’une part, la possibilité pour ce dernier d’exprimer spontanément les émotions douloureuses qui l’habitent dans un climat d’accueil, de confiance et de chaleur. D’autre part, la possibilité pour ce dernier d’être reçu, entendu, soutenu et réconforté dans sa peine et dans son chagrin ; d’être rassuré dans sa peur ; d’être accueilli avec bienveillance dans l’expression de sa colère et des reproches qu’il peut s’adresser à lui-même.


« le degré de souffrance qu’une personne peut accepter dépend beaucoup de
l’amour et du support que celle-ci reçoit de la part de son entourage. Le grand
facteur aidant lorsqu’une personne vit un deuil, c’est le support de son
entourage qui la rend capable d’entrer dans sa souffrance et d’en sortir. »


* à suivre *

mardi 16 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 3e partie

Une plongée dans le monde des sentiments et des émotions

Afin d’établir un lien entre la perte affective et les difficultés de comportement chez l’enfant et l’adolescent, examinons d’abord de plus près le processus normal de deuil ainsi que les conditions dans le milieu de vie du jeune qui facilitent le passage de cette difficile épreuve.

Se détacher, une démarche qui demande beaucoup d’énergie

Le deuil est essentiellement un processus de détachement qui s’instaure, bon gré mal gré, à la suite d’une perte. Ce processus se déroule principalement au niveau des sentiments et des émotions. Le père Jean Monbourquette nous apprend que l’importance de la perte et l’intensité du processus de détachement dépendent de l’intensité des liens affectifs que la personne endeuillée avait établis avec la personne disparue.

La perte d’une personne aimée, surtout si elle est subite et inattendue, plonge les personnes affectées dans un bouleversement affectif et émotionnel très intense. Dès les premiers moments suivant la perte, la personne endeuillée est submergée par un flot d’émotions très pénibles et très intenses qui provoquent chez elle une grande souffrance. Tristesse, colère, révolte, peur, culpabilité, sentiment d’abandon, angoisse se bousculent en elle et provoquent bien souvent une grande détresse.


* à suivre *

lundi 15 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 2e partie

Un douloureux héritage

Nathalie

Nathalie, âgée de quinze ans, est un joli brin de fille que l’on décrit comme très raisonnable et très bien adaptée dans ses relations avec son entourage ainsi que dans son fonctionnement scolaire. Voilà qu’elle perd subitement sa mère qui décède d’un arrêt cardiaque. Quelques mois après le décès de sa mère, elle commence à devenir irritable à la maison et agressive à l’endroit de sa jeune sœur et de son petit frère. Elle entre de plus en plus souvent en conflit avec son père et conteste de plus en plus son autorité. Sa tenue vestimentaire est de plus en plus négligée. À l’école, son rendement accuse une baisse importante. Ses professeurs la trouvent de plus en plus apathique et démotivée. Elle s’isole de plus en plus des jeunes de son âge. Un matin, elle entre sans préavis dans le bureau de la travailleuse sociale et lui confie en pleurant qu’elle pense sérieusement à se suicider.

Jacques

Jacques est un adolescent de treize ans qu’on a dû récemment placer en centre d’accueil de réadaptation en raison de ses troubles sérieux de comportement. Ce jeune a déjà à son actif plus de vingt vols importants. Il se tient avec des pairs marginaux beaucoup plus âgés que lui et il a déjà commencé à consommer de la drogue. Jacques s’absente souvent de ses cours et sa motivation à l’étude est presque inexistante. L’an dernier, il a été mis à la porte de la polyvalente à trois reprises en raison de son comportement provocateur à l’égard de ses professeurs et de nombreuses bagarres avec des jeunes de son âge.

L’histoire de Jacques est chargée de pertes affectives. Ses parents se sont séparés alors qu’il n’était âgé que de deux ans. Il ne reverra jamais plus son père naturel. Sa mère qui en assume la garde se marie à nouveau l’année suivante pour se séparer alors que Jacques atteint ses cinq ans. À nouveau la figure paternelle disparaît sans laisser de trace. L’année suivante, Jacques doit être placé dans une famille d’accueil car sa mère vient d’être hospitalisée pour une maladie qui la gardera alitée pendant plusieurs semaines. Suite à sa maladie, sa mère connaît une période d’instabilité émotionnelle qui l’amène à délaisser complètement son fils. Finalement, en raison de la faiblesse physique et psychologique de sa mère, Jacques demeurera trois ans dans cette famille. Durant cette période, ses parents d’accueil donneront naissance à deux enfants et Jacques se sentira passablement délaissé au moment de ces naissances. À l’âge de neuf ans, Jacques est rendu à ce point agressif dans sa famille d’accueil qu’on doit le déplacer dans une autre famille. À l’âge de onze ans, Jacques perd son grand-père maternel auquel il était très attaché et qui constituait pour lui un point de repère affectif stable. L’année suivante, ses troubles de comportement sont si importants que l’on entreprend des démarches pour le placer en centre d’accueil.

François

François est âgé de quinze ans mais il a l’air d’en avoir à peine treize. Il vient d’être signalé à la Direction de la protection de la jeunesse en raison de ses difficultés très sérieuses de comportement, oscillant entre un isolement très profond et un comportement très exubérant auquel se mêle une très forte agressivité à l’endroit de son entourage. La tristesse et la révolte habitent cet adolescent et se manifestent en succession de façon très intense dans son comportement. François est également très méfiant à l’endroit des adultes. Il est presque impossible de créer un lien avec lui. À l’égard de ses compagnons et compagnes de classe, il adopte des comportements provocateurs qui entraînent le rejet de ceux-ci. Malgré son âge, François ne sait encore ni lire ni écrire.

François aussi a connu une importante histoire de pertes. Sa mère ainsi que deux de ses tantes décèdent accidentellement dans un accident de voiture à l’été 2008. Deux ans plus tard, c’est au tour de son père d’avoir un grave accident de voiture qui le gardera hospitalisé pendant plusieurs semaines et convalescent pendant plusieurs mois. Au décès de sa mère, c’est sa grand-mère paternelle qui vient habiter avec son père et lui et qui fait figure maternelle. Celle-ci meurt subitement d’un arrêt cardiaque à l’automne 2009. Depuis lors, François a connu de nombreux déplacements, soit un pensionnat ainsi que deux familles d’accueil. Chaque déplacement est motivé par sa trop grande agressivité. Depuis quelques semaines, François fait l’objet d’un placement en centre d’accueil de réadaptation.

En examinant l’histoire de vie de Nathalie, Jacques et François, nous pouvons dégager à la lumière des informations qui nous ont été fournies jusqu’ici au moins deux grands points communs : tous les trois ont vécu une ou des perte(s) affective(s) importante(s) et tous les trois éprouvent des difficultés d’adaptation et de comportement très sérieuses.



* à suivre *

dimanche 14 mars 2010

Comprendre l'Enfant ou l'Adolescent Vivant Le Deuil - 1e partie

Pour Jean Decoster, Le deuil : une lourde épreuve à traverser

Vivre un deuil constitue toujours une expérience douloureuse. Le Dr. Elizabeth Kübler-Ross, pionnière dans l’étude des phénomènes affectifs liés au deuil, mentionne que cette expérience, vécue dans de bonnes conditions, peut constituer une très grande source de croissance personnelle. Par contre, vécue dans des conditions défavorables, elle peut engendrer des difficultés importantes d’adaptation, voire même des troubles sérieux de l’affectivité. Cette situation sera d’autant plus vraie chez un enfant ou un adolescent dont la personnalité est en pleine formation.

Une expérience humaine universelle

Au cours de leur vie, très rares sont les personnes qui ne seront pas confrontées à un deuil important. Certains auront la chance d’être parvenus à l’âge adulte et d’être mieux armés affectivement et socialement pour traverse cette épreuve. Plusieurs, par contre, devront envisager cette dure réalité durant leur jeunesse alors qu’ils sont beaucoup plus vulnérables psychologiquement.

De multiples situations peuvent engendrer un deuil chez les enfants et les adolescents : la séparation de leurs parents ; le décès d’un de ceux-ci par maladie, par accident, parfois même par suicide ; le décès d’un frère, d’une sœur, d’un ami ; lorsque ceux-ci doivent quitter leur milieu familial pour être placés dans une famille d’accueil ou un centre d’accueil ; une déception amoureuse chez un adolescent.

Dans cet article, nous tenterons de démontrer que lorsque ce processus de détachement est vécu dans des conditions défavorables par l’enfant ou l’adolescent, il peut ultérieurement entraîner de très sérieuses difficultés dans leur comportement et leur adaptation. Pour illustrer cette démarche, nous utiliserons trois situations de jeunes dont les noms sont fictifs et dont nous avons modifié quelque peu la trame et le scénario familial pour en assurer l’anonymat.


* à suivre *

vendredi 12 mars 2010

Abus Sexuel - 5e partie

Comment expliquer qu’il y ait plus d’abus sexuel au sein des familles recomposées?

Afin d’expliquer la surreprésentation des familles recomposées dans les cas d’abus sexuels, Finkelhor avance l’idée que le triangle oedipien pourrait rendre l’enfant plus vulnérable aux abus sexuels de son beau-père Cette explication théorique sous-tend que l’enfant peut se sentir trahi par sa mère qui s’engage dans une relation avec un nouveau conjoint ou encore avoir le sentiment que sa mère lui porte une attention moins grande. Selon Finkelhor, ce sentiment pourrait amener l’enfant à concourir avec sa mère afin d’avoir l’attention du beau-père. Il importe cependant de souligner que les écrits d’orientation féministe s’opposent à de telles explications de la problématique de l’inceste en affirmant que celles-ci contribuent à déresponsabiliser le père abuseur en imputant la responsabilité de l’abus à l’enfant victime et à la mère non abuseure (Walby, Clancy, Emetchi et Summerfield, Wattenberg).

D’autre part, plusieurs auteurs soulignent l’absence de lien de consanguinité ainsi que la déficience du lien d’attachement entre le beau-parent et l’enfant afin d’expliquer la prévalence d’abus sexuels au sein des familles recomposées (Hébert et Tremblay; Giles-Sims; Charbonneau et Oxman-Martinez, Williams et Finkelhor, Pauzé et Mercier; Warren et al., Finkelhor; Daly et Wilson; Gouvernement du Québec). En fait, il a été démontré que, lorsque les parents passent moins de temps avec leur jeune enfant et qu’ils lui prodiguent moins de soins, ils sont davantage à risque d’en abuser sexuellement (Giles-Sims). À cet égard, une étude comparative portant sur des pères et beaux-pères incestueux ou non fait ressortir deux facteurs significativement liés au passage à l’acte incestueux, soit le passé carencé du père et la non-participation aux soins de l’enfant entre zéro et trois ans (Gauthier). Ainsi, on considère le beau-père plus enclin à l’agir incestueux avec sa belle-fille, car il n’aurait pas développé ce lien d’attachement que suscite l’intimité physique dans les premières années de la vie, lien qui semble conditionnel à l’inhibition de l’inceste (Langevin et Watson; Pauzé et Mercier; Parker et Parker). La plupart des écrits sur la question suggèrent donc l’hypothèse que plus les pères participent tôt aux soins de leur enfant, moins ils sont susceptibles d’en abuser sexuellement (Williams et Finkelhor). Par contre, dans le but de tester cette hypothèse, deux études ont comparé les scores de déviance obtenus par des pères biologiques et des beaux-pères à la suite d’une évaluation phallométrique (Rice et Harris; Seto, Lalumiere et Kuban). Ces études postulaient que pour surpasser leur aversion d’avoir des relations sexuelles avec leurs propres enfants, les pères biologiques (qui sont présumés avoir passé plus de temps avec leurs filles durant la petite enfance que les beaux-pères) devraient présenter des préférences sexuelles plus fortes envers les jeunes enfants que les beaux-pères. Contrairement à leur hypothèse de départ, les résultats de ces études indiquent que les pères biologiques qui abusent leurs filles n’ont pas de préférences sexuelles plus déviantes que celles des beaux-pères. Les conclusions de ces études jettent donc un doute sur l’idée selon laquelle l’absence d’un lien de consanguinité entre le beau-parent et l’enfant augmente les risques d’inceste.

Suivant l’hypothèse de la déficience du lien d’attachement afin d’expliquer le passage à l’acte incestueux, certaines études soulignent que la présence d’un beau-père peut également accroître le risque que l’enfant soit sexuellement abusé par des individus à l’extérieur de la famille. En effet, Hébert et Tremblay avancent l’idée que les amis et les connaissances du beau-père peuvent percevoir le manque d’attachement de ce dernier envers sa belle-fille et être ainsi plus enclins à en abuser sexuellement. Dans le même sens, Finkelhor souligne que la plus grande vulnérabilité des enfants qui vivent en famille recomposée n’est pas seulement attribuable à la présence du beau-père, mais aussi au fait que l’enfant est alors amené à développer un nouveau réseau familial. À cet égard, il est intéressant de rapporter les résultats de l’étude de Margolin qui a porté sur les abus sexuels commis par les grands-parents. Dans le cadre de cette recherche, 9 dossiers des services de protection de l’enfance de l’Iowa ont été examinés concernant des enfants qui avaient été abusés sexuellement par un grand-parent. Cette recherche fait, entre autres, ressortir que les abus sexuels commis par les grands-parents sont souvent assez sévères, que le père du beau-parent est plus dangereux pour l’enfant que son grand-père biologique et que plusieurs grands-pères abuseurs ont aussi abusé leur fille lorsqu’elle était plus jeune.

Finalement, certains chercheurs expliquent la grande prévalence des abus sexuels au sein des familles recomposées par le fait que les parents y sont généralement plus autoritaires ou coercitifs et qu’ils possèdent moins d’habiletés de résolution de problèmes (Lightcap, Kurland et Burgess). Pour sa part, l’étude de Gordon démontre que les familles biologiques avec une histoire d’inceste possèdent davantage de caractéristiques problématiques que les familles recomposées. En effet, cette étude, qui compare les abus commis par des pères biologiques et des beaux-pères, a révélé que les pères biologiques ressentent plus de stress personnels, sociaux et économiques que les beaux-pères.

De façon générale, les caractéristiques pathologiques qui sont associées à l’émergence de l’inceste ne semblent donc pas nécessairement découler de la structure familiale dans laquelle l’abus prend place. En ce sens, certaines études scientifiques, qui ne font pas de distinction entre les pères biologiques et les beaux-pères, démontrent que, dans l’ensemble, les familles incestueuses se caractérisent par l’omniprésence des conflits ainsi que par moins de cohésion, d’expression affective et d’activités de loisirs (Dadds, Smith, Webber, et Robinson; Carson, Gertz, Donaldson et Wonderlich). Dans ce même ordre d’idées, les écrits cliniques sur les familles incestueuses soulignent la multiplicité des structures et des relations au sein de celles-ci. Ainsi, les auteurs notent la présence de structures familiales chaotique ou, à l’inverse, ultrarigides (Peronne et Nannini), la faible différenciation des structures identitaires des individus (Barudy), l’inversion des rôles mère-fille (Vallée; Tinling, Foucault) ainsi que la répartion inégale du pouvoir au sein de la famille (Strand); Joyce, Russell). Cette dernière caractéristique est également notée dans de nombreuses études qui laissent entendre que les conjointes d’abuseurs sexuels sont fréquemment victimes de violence conjugale, la prévalence de violence conjugale variant entre 44,3% et 85% selon les études consultées (Deblinger et al.; Sirles et Franke; Truesdell, McNeil et Deschner; Cyr, McDuff et Wright).


* à suivre *

jeudi 11 mars 2010

Abus Sexuel - 4e partie

La gravité des gestes posés par l’abuseur

Il importe de souligner les résultats observés dans les études portant sur la gravité des abus sexuels, commis par les beaux-pères. D’une part, l’étude rétrospective de Russell qui portait sur 930 femmes, est venue affirmer que plus d’abus sexuels sont classifiés de graves dans les familles recomposées (47%) que dans les familles d’origine (26%). Afin d’expliquer ce résultat. Russell souligne que le beau-père qui éprouve du désir sexuel pour sa belle-fille n’est retenu que par des conséquences légales et familiales, alors que le père biologique est également freiné par le tabou de l’inceste.

Par ailleurs, l’étude de Faller montre que le lien de consanguinité, lorsqu’il renvoie à une relation plus intime, ne protège pas nécessairement l’enfant. Dans le cadre de cette recherche, 171 situations d’abus sexuels commis par le père biologique (n=59), le beau-père (n=62) et le père biologique non gardien (n=50) ont été examinées. Les résultats révèlent que les abus sexuels impliquant le père biologique vivant avec l’enfant sont les plus graves (sur le plan du nombre d’abus, de la durée ainsi que du temps écoulé entre le dernier abus et son dévoilement) suivis des abus commis par le beau-père et, enfin, par le père non gardien. Par contre, aucune différence statistiquement significative n’a été observée sur le plan du degré de coercition impliqué.

Dans le même sens, la recherche de Gordon et Creighton, qui s’appuyait sur un échantillon de 130 dossiers dans lesquels des filles ont été abusées sexuellement, souligne que la gravité des gestes d’abus perpétrés par les pères biologiques s’avère plus important, puisque 37% d’entre eux ont soumis leur fille à une relation sexuelle complète comparativement à 16% des beaux-pères. Enfin, la recherche de Phelan, qui comparaît 5 cas d’abus sexuels commis par des beaux-pères à 46 cas avec des pères biologiques, a trouvé des différences entre les deux groupes en ce qui concerne la gravité des gestes posés.

Comparativement aux beaux-pères, les pères biologiques sont plus nombreux à avoir des rapports sexuels complets et s’attaquent plus souvent à plusieurs de leurs filles. Plus récemment, ces résultats ont également été confirmés dans l’étude finlandaise de Sariola et Uutela au sein de laquelle les actes commis par les pères biologiques étaient jugés d’une plus grande gravité que ceux posés par les beaux-pères. Par contre, malgré les résultats exposés précédemment, certaines études indiquent qu’il n’y a pas de différence dans les types d’activités sexuelles commises par les pères et les beaux-pères ni en ce qui a trait à l’âge de leur victime (Erickson et al.,; Phelan).

Si les chercheurs s’intéressent particulièrement à la question de la gravité des abus sexuels commis par les beaux-pères, c’est sans doute parce que, de façon générale, les recherches sur les séquelles des abus sexuels indiquent que l’utilisation de violence et une relation proche avec l’abuseur constituent les éléments les plus néfastes sur le développement de l’enfant à long terme (Lovett, Damant, 1993). À ce sujet, parmi les 45 études recensées par Kendall-Tackett, Williams et Finkelhor, dix établissaient des distinctions entre l’abus sexuel intrafamilial et extrafamilial. Leur analyse des résultats démontre que dans sept des dix études, les répercussions de l’abus sexuel sont plus sévères chez les victimes d’abus intrafamilial. Pour sa part, Feinauer affirme que les effets psychologiques les plus dévastateurs, à long terme, apparaissent lorsque les victimes ont été abusées par une personne avec laquelle elles avaient développé un lien de confiance. Par conséquent, certains auteurs soulignent que ce n’est pas le lien de parenté en soi qui détermine le niveau de détresse de l’enfant victime, mais plutôt le lien émotionnel qui lie cet enfant à l’abuseur (Feinhauer; Herman).


* à suivre *

mercredi 10 mars 2010

Abus Sexuel - 3e partie

Les caractéristiques de l’abus sexuel au sein des familles recomposées

Étant donné les taux de prévalence importants des abus sexuels au sein des familles recomposées, certains chercheurs se sont intéressés aux caractéristiques propres à ce type d’abus. Pour ce faire, ces études ont tenté de distinguer les abus sexuels perpétrés au sein de différentes structures familiales en fonction des caractéristiques de l’enfant victime et de la gravité des gestes posés par l’abuseur.

Les caractéristiques de l’enfant victime

De façon générale, les recherches indiquent que les filles sont plus souvent victimes d’abus intrafamilial que les garçons (Finkelhor, Leventhal), sans pour autant préciser le lien qui unit l’enfant à l’abuseur. Pour leur part, Kendall-Tackett et Simon ont effectué une étude visant à vérifier si l’expérience d’abus sexuel est différente chez les garçons et chez les filles en tenant compte de la structure familiale. Basée sur un échantillon composé d’un population clinique de 365 adultes (325 femmes et 40 hommes) abusés sexuellement dans l’enfance, cette étude indique que, si les beaux-pères agressent davantage les filles (22% des femmes ont été abusées par leur beau-père comparativement à 8% des hommes), les pères biologiques abusent autant de leur fils que de leur fille (pour 33% des hommes et 39% des femmes, l’agresseur était le père biologique). De leur côté, Erickson et al. concluent que le choix des victimes en fonction du sexe n’est pas différent chez les pères que chez les beaux-pères. L’apparente contradiction entre ces deux études peut s’expliquer par les choix méthodologiques effectués. En effet, Erickson, Walbek et Seely ont rencontré les agresseurs (59 beaux-pères, 70 pères biologiques et 158 agresseurs extérieurs à la famille) plutôt que les victimes, dans le but de vérifier pourquoi l’inceste est plus fréquent dans les familles recomposées. Pourtant, l’étude de Phelan démontre que les perceptions des pères et des filles entourant l’établissement et le maintien de la relation incestueuse sont souvent diamétralement opposées. En outre, certaines recherches indiquent que l’âge auquel un enfant est susceptible de se faire agresser varie aussi selon le lien entretenu avec l’abuseur. En effet, dans son étude comparative sur les relations incestueuses entre 56 familles recomposées et 46 familles biparentales intactes. Phelan note que les pères biologiques commencent généralement à abuser de leurs filles lorsqu’elles ont atteint l’adolescence, alors que les beaux-pères ont plutôt tendance à débuter leurs abus dès la préadolescence. Afin d’expliquer ses résultats, Phelan avance que le beau-père abuserait d’un enfant plus jeune afin d’acquérir du pouvoir sur ce dernier, alors que le père biologique utiliserait la relation sexuelle dans le but de maintenir son contrôle sur sa fille qui grandit. Cependant, dans une étude qui portait sur le sens donné aux actes incestueux, cette même chercheure a découvert que neuf beaux-pères sur 26 affirmaient être motivés par un désir de contrôle et de pouvoir sur l’enfant victime, alors qu’aucun des quatorze pères biologiques n’a exprimé ce type de motivation (Phelan).

De son côté, la recherche de Gordon et Creighton affirme que c’est chez les pères biologiques que l’on observe le plus haut taux d’abus d’enfants âgés de 3 ans et moins (8% contre 5% chez les pères substituts et 2% chez les beaux-pères), bien que cette différence ne soit pas statistiquement significative. Par ailleurs, c’est chez les pères substituts que l’on observe le plus haut taux d’abus sexuel d’enfants prépubères (68% contre 44% des victimes des pères biologiques et 41% des beaux-pères). Enfin, 59% des victimes des beaux-pères ont entre treize et dix-sept ans contre 56% des victimes des pères biologiques et 32% des victimes des pères substituts. Cette observation a été confirmée dans une seconde étude (Gordon) portant sur un plus grand échantillon (4132 pères biologiques et 2241 beaux-pères). En soi, ces résultats ne sont pas surprenants. En effet, les chercheurs s’entendent généralement pour affirmer que les victimes d’abus intrafamiliaux sont plus jeunes que les victimes d’abus extrafamiliaux (Fisher et McDonald). Afin d’expliquer cette tendance, les auteurs soulignent que les enfants plus jeunes passent plus de temps à l’intérieur de leur famille et sont moins souvent en contact avec des étrangers que les enfants plus âgés (De Jong, Hervada et Emmett). Dans le même sens, les résultats exposés précédemment peuvent s’expliquer par le fait que, de façon générale, le beau-père entre plus tardivement dans la vie quotidienne de l’enfant.


* à suivre *

mardi 9 mars 2010

Abus Sexuel - 2e partie

La prévalence de l’abus sexuel au sein des familles recomposées

Les écrits cliniques portant sur l’abus sexuel d’enfants tendent généralement à affirmer que la présence d’un beau père augmente considérablement les risques d’abus sexuel au sein d’une famille. Les résultats des recherches empiriques appuient cette affirmation. En effet, les études sur la question concluent que le fait de grandir dans une famille recomposée constitue un facteur de risque important dans les cas d’abus sexuels. (Ferguson, Linskey et Horwood; Finkelhor; Finkelhor et al.; Finkelhor et Baron). Ainsi, le fait d’avoir un beau-père double les risques qu’un enfant soit abusé sexuellement (Finkelhor). De son côté, Russell observe que seulement 2,3% des filles qui grandissent avec leur père biologique sont victimisées comparativement à 17% des filles grandissant avec un beau-père. Dans le même sens, Gordon et Creighton font ressortir la surreprésentation des beaux-pères parmi les agresseurs sexuels. Effectivement, parmi tous les cas d’abus sexuels rapportés au Royaume-Uni, ces auteurs soulignent que 46% sont commis par un beau-père, alors que seulement 10% des enfants vivent en famille recomposée dans ce pays. Au Québec, l’étude de Tourigny et al. conclut que les victimes sont plus exposées au risque d’être abusées par un membre de leur famille nucléaire si elles vivent dans une famille recomposée ou si elles ne vivent avec aucun parent biologique. Pour leur part, Warren, Gary et Moorhead font ressorti que parmi les jeunes qui ont fugué de la maison pour cause d’abus sexuel, la plupart ont mentionné que l’agresseur était leur beau-père. Plus récemment, une étude menée en Finlande a démontré que les cas d’inceste impliquant un beau-père sont approximativement quinze fois plus fréquents que les cas d’inceste père-fille (Sariola et Utela). Finalement, dans une recension des écrits sur cette question, Giles-Sims remarque qu’un abus sexuel sur trois à un sur deux est commis par un membre de la famille et que, sur l’ensemble des cas d’abus sexuels, les familles recomposées demeurent surreprésentées. L’étude de McCloskey et Bailey figure parmi les rares recherches n’ayant pas pu démontrer que la présence d’un beau-père est associée à une surreprésentation de cas d’abus sexuels. En effet, cette recherche visait à comparer l’influence relative de plusieurs facteurs de risque potentiellement reliés à l’abus sexuel auprès de 179 familles victimes de la violence conjugale. Aucune différence significative n’a été notée entre les filles abusées sexuellement et le groupe contrôle en ce qui concerne la présence d’un beau-père à la maison.


* à suivre *

lundi 8 mars 2010

Abus Sexuel - 1e partie

ABUS SEXUEL VOUS DITES?

Voyons ce qu’en pensent Ève Pouliot et Marie-Christine Saint-Jacques

L’abus sexuel d’enfants constitue un problème social dont l’ampleur n’est que partiellement connue, mais pour lequel des séquelles importantes, à court et à long terme, ont été identifiées (Beitchman et al.). Ainsi, les meilleures estimations du taux d’incidence de l’abus sexuel sont de 2,4 sur 1000 aux Etats-Unis (Finkelhor) et varient entre 0.87 et 1,38 sur 1000 au Québec (Wright et al.). Toutefois, ces statistiques sous-évaluent les taux réels d’enfants abusés sexuellement puisqu’elles se fondent uniquement sur les cas connus des responsables de la protection de la jeunesse. En effet, une trentaine d’études ont démontré qu’au mieux, seulement 30% des cas d’agression sexuelle sont rapportés aux autorités (Finkelhor et Dziuba-Leatherman). Dans ce même ordre d’idées, une étude de Tourigny, Péladeau et Bouchard, qui portait sur les caractéristiques des agressions sexuelles de 287 jeunes Québécois, a révélé que seulement 18% des cas d’agression rapportés au centre d’intervention téléphonique Tel-Jeunes étaient connus d’un professionnel de la DPJ (suggérant qu’au moins un cas sur quatre n’est pas rapporté aux responsables de la protection de la jeunesse). Il importe également de souligner les écarts dans les taux d’incidence et de prévalence selon les études consultées, ces derniers variant de 2% à 62% selon la définition de l’abus sexuel utilisée, les méthodes de collecte de données, l’hésitation possible des répondants à dévoiler une situation abusive ainsi que la non-détection de cas réels (Bolen et Scannapieco).

Étant donné l’ampleur de la problématique de l’abus sexuel ainsi que l’importance et la persistance des séquelles qui en découlent, certains chercheurs ont tenté d’identifier les facteurs de risque et de protection qui y sont associés en vue de développer des interventions préventives auprès d’enfants jugés vulnérables. Ainsi, les données disponibles à ce jour permettent d’identifier des caractéristiques personnelles ainsi que des composantes de l’environnement familial qui semblent rendre les enfants plus susceptibles de vivre une situation d’abus sexuel et qui prédisent le soutien accordé par la mère suivant le dévoilement de celui-ci (Hébert et Tremblay). Parmi celles-ci, les caratéristiques suivantes sont fréquemment citées : naître de sexe féminin, être âgé entre six et douze ans, vivre avec un beau-père entre six et douze ans, vivre avec un beau-père, être séparé d’un parent naturel, bénéficier d’une supervision parentale inadéquate ou vivre dans une famille conflictuelle (Lightfoot et Evans; Volgeltanz et al.; Whetsell-Mitchell; Finklehor; Finkelhor et Baron). Pour sa part, Finkelhor observe que la présence d’un beau-père est la caractéristique familiale qui a été la plus démontrée comme facteur de risque important de l’abus sexuel. De plus, dans les cas où l’abuseur est le beau-père ou l’homme fréquenté par la mère, cette dernière offre généralement moins de soutien à son enfant que lorsqu’il s’agit du père biologique ou d’un membre de la famille élargie (Sirles et Franke).

Malgré l’apparent consensus existant dans la littérature clinique concernant la surreprésentation des situations d’abus sexuels au sein des familles recomposées, peu d’études empiriques ont porté spécifiquement sur cette question. Pourtant, l’augmentation du nombre de familles recomposées dans notre société exige que les recherches s’intéressent davantage aux facteurs de risque et de protection associés à l’abus sexuel au sein de celles-ci. Les familles recomposées constituent-elles vraiment un risque supplémentaire dans la trajectoire développementale de l’enfant en augmentant la probabilité que ce dernier soit abusé sexuellement? C’est à cette question que le présent article est consacré. Il brosse d’abord un tableau des connaissances empiriques issues des 25 dernières années sur la question de l’abus sexuel et la recomposition familiale tout en faisant état des principales limites méthodologiques de ces recherches. Par la suite, quelques résultats extraits d’une étude de plus large envergure (Saint-Jacques et al.) portant sur la spécificité des risques associés à la recomposition familiale dans un contexte de protection de la jeunesse seront présentés et discutés.


* à suivre *

dimanche 7 mars 2010

LA PERSONNALITÉ - 119e partie

Conclusion

Dans un contexte de désinstitutionnalisation, de privatisation, de soins à domicile développés en lien avec le communautaire, il est important d’explorer de nouvelles avenues concernant les soins palliatifs et de s’interroger sur l’écart entre le discours théorique et la pratique. Chaque unité de soins palliatifs est unique et marqué par des nuances et accents propres. La différence entre le réseau public et le milieu communautaire affiche de grands écarts aussi. L’importance de la communauté, que plusieurs cherchent à refaire, est signifiante. Notre entourage est bien souvent restreint, mais développer une communauté d’appartenance répond aux besoins de sens en fin de vie. Une communauté d’appartenance empreinte de valeurs, de spiritualité, peut être certainement aidant en fin de vie. Mais pour bien des gens vivant dans la solitude, la dernière communauté qu’elle cotoîera sera l’unité des soins palliatifs. L’aidant a un rôle crucial à jouer dans son aptitude à dégager du sens de la situation globale qu’il perçoit. Il est un des mieux placés pour évaluer les besoins globaux du mourant, défendre ses besoins et imaginer de nouvelles pistes inusités et créatives. Il faut sortir de l’autocomplaisance de certains en soins palliatifs et réaliser l’importance de répondre aux questions spontanées des mourants concernant la spiritualité. Pour certains, le complexe du sauveur ici émerge, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La nécessité de resocialiser la mort et le mourir est un tâche que l’aidant est potentiellement apte à accomplir, puisque :

Ce néo-clec qui s’ignore et se sous-estime (…) cherche le sens à partir d’une
vie perçue par ses côtés les plus quotidiens (…), fonde son savoir sur une
pratique de confrontation à la réalité sociale, (…) participe à l’approche du
sacré sauvage en ce qu’il tend à décomposer, (…) à créer un sens à partir du
chaos et l’absurde pour passer du pôle négatif au pôle positif, (…) à relier les
hommes entre eux, (…) et tend à se réapproprier un certain pouvoir dans une zone
décentrée par rapport à l’avance de la modernité (Bodart, Senn, 1991 : 90- 96).


L’aidant a un rôle prépondérant à jouer face aux questions spirituelles typiques de notre société, voire de nos valeurs, dans le mouvement des soins palliatifs, ainsi que dans plusieurs autres milieux d’intervention. Même si ces demandes spirituelles spontanées ne sont pas fréquentes, cela ne signifie pas qu’elles pourraient l’être davantage si le mourant ressentait une présence soignante différente de celle qu’on lui assigne la majorité du temps. S’il existe un intervenant-accompagnateur capable d’éclairer la situation ambiguë des soins palliatifs par rapport à cette crise de sens existentielle, c’est bien l’aidant. Avec plus de connaissances sur la spiritualité et les religions, il aura le regard socialisant nécessaire pour passer d’un monde destiné à se refermer sur lui-même à celui ouvert sur l’humain, le social et l’imprévu….le propre de la vie, quoi!

samedi 6 mars 2010

LA PERSONNALITÉ - 118e partie

Accompagner le mourant et trouver du sens

D’aucuns ont fait des recherches sur le deuil et la guérison des personnes séropositives et de leurs proches (Boland, Murphy, Ennis, 1996 : 46-52). Elles en viennent à la conclusion qu’il est important de créer un lieu sûr et sacré pour écouter les récits des souffrances vécues, ainsi que de faire ressortir notre condition commune. Elles affirment que tout travail de guérison se fait à partir d’une base spirituelle et qu’il faut se fier à nos intuitions et à ce que l’on ressent, même si on ne les comprend pas toujours. Donc, oser être soi-même et laisser émerger l’inusité, de nouveaux sens. Alors que certains parlent d’approche imaginative pour l'aidant en soins palliatifs (Small, 2001 : 969), d’autres présentent une spiritualité des sens ou sensorielle – sensory spirituality (Chandler, 1999 : 64-71).

Approche holistique

Certains cliniciens chercheurs, surtout des infirmières, mais aussi quelques aidants et accompagnateurs spirituels (spiritual counselors), dénoncent l’écart qui reste à franchir en soins palliatifs pour être cohérent entre la théorie et la pratique. Est-ce le désir, peut-être inconscient, de resocialiser la mort et le mourir et éviter de le professionnaliser? Kendall (1999 : 474-476) affirme que le plus gros défi de l’approche holistique est de mettre la théorie en pratique et de reconnaître ce qu’on doit acquérir comme compétences nouvelles et aussi le défi de mettre nos préjugés de côté. Elle propose donc des outils pour les intervenants afin d’évaluer les besoins spirituels du mourant et même s’engager dans la prière, la méditation, la visualisation et l’imagerie. Cette initiative ressort du désir d’abord professionnel d’intervenir correctement dans l’approche holistique.

D’abord au niveau des intervenants, certains chercheurs affirment que :

Si les hospices veulent intégrer les évaluations des besoins spirituels non traditionnels ou confessionnels, alors ils doivent bâtir des programmes d’éducation et d’entraînement du personnel soignant de l’équipe multidisciplinaire afin que ceux-ci puissent offrir des soins spirituels, avec un sentiment de confort et la compétence nécessaire (Dudley, Smith et Millision, 1995, 1995 :37).

À un niveau plus communautaire cette fois, quelque chose de très critiquable a priori, mais peut-être aussi fort louable, est pratiqué à Brisbane, en Australie. Il s’agit du Karuna Hospice Service (McGrath, 1997 : 1-14), un centre communautaire qui offre des soins palliatifs à domicile, avec le même type d’équipe multidisciplinaire qu’ici, mais qui pose les assises d’une spiritualité bouddhiste au cœur de son intervention. Attention à ne pas mal interpréter! La chercheure rassure les lecteurs en mentionnant que les soignants n’ont pas à embrasser la religion bouddhiste, même si son fondateur l’est, mais tout simplement d’être motivés par ces valeurs et désirer combler cette dimension spirituelle ignorée en pratique. En incarnant ces valeurs au quotidien, les intervenants- accompagnateurs ne prêchent pas de réponses religieuses, mais apportent de leur paix intérieure, de leur compassion, de leur amour et de leur sens de la vie.


* à suivre *

vendredi 5 mars 2010

LA PERSONNALITÉ - 117e partie

Notion de temps en fin de vie

Le rythme effréné que l’on connaît, la course contre la montre, n’a pas sa place en soins palliatifs. Sauf lorsque le mourant en phase terminale, dans les dernières heures de sa vie, demande à voir un proche. Delvaulx affirme que « le rapport au temps se vit dans l’instant présent » (1997 :23). En fin de vie, on va droit au cœur, droit au but des choses et le superficiel s’estompe. Selon Lamau, « le rapport au passé, au présent et au futur est intensifié, de sorte que le passé renvoie à une relecture de vie à se réapproprier, le présent reformule une hiérarchie des valeurs, alors que l’ici et maintenant devient central, et le futur fait ressurgir l’angoisse de l’inconvenable » (Lamau, 1994 : 422). Chaque minute compte pour le patient et les proches et il importe, pour le soignant en présence, de reconnaître les signes lorsque le malade interpelle quelqu’un à devenir témoin de sa démarche. L’intensité du moment présent signifie donc son importance en terme de qualité. Qualité de l’écoute, de la présence du soignant, de l’importance de répondre aux besoins du mourant lorsque ceux-ci émergent, car « les soignés choisissent leur confident et une occasion d’apaiser la souffrance spirituelle peut ne jamais se représenter » (Babler, 1997 : 16). Le rôle principal qu’on assigne à l’aidant ressort du domaine social. Mais la marge entre le domaine social et le domaine spirituel est mince.

Quand il y a des préoccupations spirituelles spontanées, le soignant va faire un
bout de chemin et si le malade le désire, on va référer à l’aumônier. Sur le
coup on y répond, on en parle. Donc, les rôles sont interchangés, car si on joue
à la chasse gardée, le malade va en souffrir. Une intervention banale comme
accrocher un tableau significatif peut susciter la remontée de valeurs, et
amener le malade à faire confiance à la vie, en lui, en sa famille, en l’équipe,
car on ne sait jamais par quel biais la spiritualité va venir.



* à suivre *

jeudi 4 mars 2010

LA PERSONNALITÉ - 116e partie

Les besoins spirituels du mourant

Il y a donc souvent un malaise entourant les besoins spirituels des mourants de la part des soignants, incluant l’aidant. La théorie holistique, qui comprend les besoins spirituels, est endossée de tous, mais, dans la pratique, on sent un malaise à ce sujet – serait-ce représentatif de notre société qui a perdu ses repères et son identité spirituelle? Néron (1995 : 45) cite Croless (1990) à propos de cette « implication régulière des accompagnateurs avec les mourants et leurs proches (qui) peut éveiller les préoccupations spirituelles de l’accompagnateur ». Le malaise premier est qu’on est habitué à fonctionner sur le mode du faire et à rechercher des solutions. Devoir s’arrêter, écouter la souffrance de l’autre l’accueillir, voilà de quoi ouvrir un espace de sens que l’on ouvre rarement par rapport à soi-même – ce qui est très intense dans le moment et difficile à supporter. Plusieurs affirment de façon claire que la spiritualité en fin de vie est du domaine du privé (Schaerer, dans montheil, 1997 : 3130316). Cela dépend des milieux et des tendances culturelles et professionnelles. Mais cet écart est-il juste pour les mourants?

Certains aidants en soins palliatifs expriment le besoin de se positionner dans leur spiritualité afin d’être plus juste et vrai face au malade. Ils affirment que le malade reconnaît les valeurs du soignant. Le malade qui sent le besoin de parler de sa spiritualité va attendre d’être en présence d’une personne en qui il a confiance. Et la base de cette confiance est l’attitude, le comportement et, surtout, ce qu’ils traduisent de façon plus subtile. Or, les valeurs sont ce qui nous identifient ou non à une autre personne, ce qui fait que ça « clique » ou non. Si l’on accepte de se laisser atteindre par l’autre, qu’est-ce que cela exige au niveau du dialogue sur la spiritualité? Certains suggèrent une certaine appropriation des contenus spirituels et religieux, d’autres parlent de distanciation face à ce sujet, d’abstraction de leur spiritualité lorsqu’ils accompagnent le malade. Il est logique de faire attention aux transferts, aux projections, aux préjugés, mais qu’est-ce qu’un accompagnement, privilégié de surcroît, nécessite? Il nécessite l’échange, le partage. Or, savoir se positionner ne veut pas dire savoir « vendre sa salade », mais tout simplement savoir où personnellement on se situe, afin que l’autre puisse se situer en relisant sa vie, ses valeurs, les éléments signicatifs, etc. Le mourant se situe toujours en rapport à quelque chose d’autre, à quelqu’un d’autre. Est-ce nécessaire de pouvoir remettre en question nos propres valeurs, notre spiritualité, notre propre quête de sens face au mourant questionnant et cheminant?

Le sens de la vie et de la mort devrait pouvoir être accompagné à tout le moins par les soignants qui se trouvent au bon moment (ou au mauvais moment, c’est selon…) lorsque le questionnement spirituel est soulevé. Écouter et guider n’est pas donner des réponses. C’est aider la personne à trouver ses réponses. Les réponses sont personnelles et ont du sens pour soi. Ce que certains expriment « faire un bout de chemin » est, selon moi, la bonne voie à suivre, autant que possible.

Plusieurs chercheurs et cliniciens, incluant les aidants, expriment la nécessité de non seulement se positionner mais aussi de s’informer sur le religieux, comme étant une formation additionnelle que le milieu sous-entend. Ceci s’exprime par l’acquis de connaissances religieuses institutionnelles (rituels, valeurs, normes) afin de faciliter leur communication avec les patients et d’éliminer autant que possible les préjugés. Il faut comprendre la perspective de la mort, de la souffrance, des différents aspects de la vie et de celle après la mort pour ces religions (Mondragón, 1997), Ceci afin de faciliter l’accompagnement et d’éviter la fuite lorsque les questions spontanées nous dépassent.

* à suivre *

mercredi 3 mars 2010

LA PERSONNALITÉ - 115e partie

Limites et responsabilités

L’approche holistique implique que chaque soignant développe un niveau consistent de maturité spirituelle (Kendall, 1999 : 473). Dans un univers médical où les cadres sont habituellement bien définis, chacun doit se camper dans son rôle. Les responsabilités sont d’apporter d’abord de son bagage personnel et professionnel au mourant et aux proches, mais aussi d’accueillir les demandes spontanées qui peuvent déborder le cadre des soins d’ordre davantage psychosociaux ou relevant du mandat de l’aidant. À ce sujet, les questions d’ordre spirituel devraient être à son agenda, selon certains aidants du milieu, alors que d’autres affirment que cela dépend du degré d’aisance de l’intervenant dans le domaine spirituel et de la nécessité d’aller chercher la personne compétente.

Valeurs et sens

Bref, ce sont des valeurs qui placent la personne humaine, peu importe qui elle est, au centre du dialogue et des préoccupations. Salamagne (dans Gomas, 1993 : 24-31) souligne que la mort apparaît souvent, même pour les soignants, comme un non-sens qui surgit face aux valeurs de la société. Les valeurs de professionnalisation, des spécialisations, de compétence, de maîtrise, de technicisation, entrent en contradiction avec les soins palliatifs où la mort n’est jamais maîtrisée ni apprivoisée. Il est dangereux de donner un sens préfabriqué à ce non-sens. La société, explique-t-elle, ne prédispose pas les individus à reconnaître la mort. Ici, le mourant n’occupe plus aucune fonction, sinon que de demeurer un être vulnérable, fragile, souffrant, laid, qui nous rappelle l’issue fatale de la vie et le sens que l’on peut trouver dans la nôtre. Les valeurs de beauté, de richesse, de réussite, de plaisir et de consommation s’estompent. Lloyd ajoute que la tendance des aidants à définir leur rôle en soins palliatifs par rapport aux valeurs sociétales et organisationnelles les amènent à vivre un conflit fondamental de valeurs (Lloyd, 1997 : 189). Pour le mourant, la fin de sa vie est l’occasion où surgit une crise existentielle de sens. L’absence de sens peut engendrer une souffrance spirituelle que même l’aidant côtoiera :


(…) si la fin de la vie fait naître le désir de parvenir à ce que l’on considère
comme vrai et précieux, ce désir peut faire naître le sentiment d’être incapable
ou indigne d’y accéder. Cette situation peut susciter des sentiments d’amertume,
de colère et d’absence totale de sens, engendrant ce qu’elle appelle une
souffrance spirituelle. (Saunders, 1988, dans Lamau, 1994 : 417).


L’aidant, dans son accompagnement psychosocial, peut amener le mourant à retrouver des valeurs actualisées et à donner un sens à sa vie restante et à sa mort. Cela peut passer par le lien avec la famille, mais aussi en amenant le mourant à identifier dans son bilan de vie les décisions et orientations fondamentales qui ont guidé sa vie et au besoin les ratifier.


* à suivre *

mardi 2 mars 2010

LA PERSONNALITÉ - 114e partie

Spiritualité et contenu religieux pour une meilleure compréhension


Les auteurs s’entendent généralement pour dire que la spiritualité est plus vaste que la religion, qu’elle est personnelle et même floue. Tout de même, plusieurs d’entre eux fournissent de façon plus ou moins exhaustive des soins spirituels à prodiguer, par les soignants en général, incluant l’aidant, et non seulement par les membres du clergé ou du culte religieux. Mais d’abord il faut distinguer religion et spiritualité. La religion, qu’elle soit ancestrale, traditionnelle, millénaire ou nouvelle (caractérisée par les mouvements dits sectaires) est un système de croyances sur l’humain et les aspects de la vie, de la mort et de l’après-mort. Ce système est reconnu par un groupe de personnes et appuyé par des textes et autres sources fondateurs comme étant sacrés et révélés par Dieu, à travers les hommes. La religion est ainsi un cadre défini, avec ses références au temps à l’espace, avec ses lieux de culte ou d’expression (objets de vénération, etc.) et fournit des réponses porteuses de sens et de valeurs. La religion porte des concepts tels que l’âme humaine et la foi en Dieu, en un univers sur-naturel, au-delà du monde physique que l’on connaît. Ses repères sont des signes pour les humains qui ouvrent sur des univers symboliques. Finalement, la religion propose une spiritualité, une vie pour l’âme, le corps et l’esprit de l’humain, qui correspond à son système.

La spiritualité est d’ordre moral et est reliée aux valeurs de chaque personne. Alors qu’elle touche l’âme, elle est immatérielle et incorporelle. Attention de ne pas identifier la spiritualité avec la pratique d’une religion. La spiritualité peut contenir ou non des références religieuses (Dudley, Smith, Millision, 1995 :31). Il ne faut pas la confondre avec le domaine psychosocial seul. Elle est de l’ordre du quotidien, de la vie et, en soi, peut être positive comme négative. C’est aussi ce qui nourrit l’esprit. Une spiritualité religieuse est la synthèse personnelle pour chaque individu de ses références religieuses, de ses perceptions à cet égard, de sa vision de la vie et est donc unique. C’est ce que la désinstitutionnalisation de la religion permet aux individus de faire aujourd’hui. La spiritualité est mouvante, évolutive, s’inscrit dans le jeu relationnel et les échanges symboliques. La spiritualité est plutôt référence à un état qu’à une appartenance (De Montigny, De Hennezel, 1990 : 114). Ce qui, par exemple, peut brouiller les cartes pour l’aidant, c’est une spiritualité avec des références religieuses mais non traditionnelles ou institutionnelles. C’est aussi ce qu’on appelle la religion à la carte. À ce moment-là, un prêtre n’est probablement pas la meilleure ressource pour cette personne. La spiritualité transcende les dogmes, idéologies, rituels et institutions (Sermabeikian, 1994 : 180) et inclut les émotions.

Dudleu, Smith Millison (1995 :30-37) constatent, lors d’une enquête menée aux Etats-Unis sur les soins spirituels donnés dans les hospices, que le concept de spiritualité en dehors d’une religion organisée est flou, difficile à cerner, et que c’est d’abord la religion qui a été observée dans les types de soins aux mourants en termes d’interventions. Ils observent que les besoins spirituels non identifiés à une religion définie ne sont pas encadrés.

L’ACSP (2001 : 21-23-24) définit les besoins spirituels des mourants et de leurs proches comme étant de l’ordre des questions, du deuil et de la préparation à la mort. Les normes qui y son édictées concernent la façon dont les unités de soins palliatifs canadiens devraient, entre autres, encadrer les soins spirituels. On y nomme ce qui est significatif et valorisé par ceux-ci (patient et proches) comme devant être reconnu et respecté, les efforts nécessaires pour faciliter le plus d’expérience de cet ordre, les questions spirituelles et existentielles devant être prises en compte, les démarches pour proposer des ressources spirituelles et/ou religieuses (de préférences celles que connaissent le patient et ses proches) et, quand c’est possible, intégrer dans l’équipe interdisciplinaire des conseillers spirituels.

Il faut cependant faire attention dans notre recherche multidisciplinaire de ne pas tourner les soins spirituels en termes de compétences seulement. Singh (1999 : 616-618) décrit ces compétences comme des attitudes à développer.



* à suivre *

lundi 1 mars 2010

LA PERSONNALITÉ - 113e partie

Le conseiller significatif

En soins palliatifs, les soignants respectent le fait que l’un d’entre eux soit choisi par un mourant pour devenir la personne significative. Ce choix de l’accompagnateur significatif se fait en douce, par le non verbal bien souvent. Les soignants vont s’en rendre compte alors qu’un mourant parle plus à l’un d’entre eux, s’ouvre plus, confie davantage une partie de sa vie privée et de son intimité. C’est avec cette personne qu’il va se confier davantage sur ses émotions et souvent aussi sur ses questionnements ou états d’âme spirituels. Longaker (1998 : 185) affirme à partir de son expérience que si la personne veut prier Dieu et qu’elle ne connaît pas de prière ou de rituel traditionnel, la personne accompagnante choisie par le mourant peut suggérer une prière spontanée, personnalisée pour le mourant. Toutefois, les aidants ne sont pas tenus par des normes explicites de leur pratique en ce qui a trait à ce « bout de chemin à faire », ces préoccupations spirituelles spontanées de la part du patient. Toutefois, l’équipe multidisciplinaire en place peut adopter un protocole indiquant aux différents intervenants, incluant l’aidant, comment « gérer » ces questionnements spontanés sans référer immédiatement à la personne désignée, bien souvent à l’aumônier ou à l’accompagnateur spirituel (spiritual counselor). Il est important pour le mourrant que l’accompagnateur significatif puisse l’accueillir dans ces moments spontanés qui peuvent déborder son mandat immédiat


* à suivre *